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Afrique
  2017-06-08
 

Le groove du désert

par François Dubé | VOL.9 JUIN 2017
Mots-clés: musique; Afrique

La musique d’Ezza combine les anciennes traditions touaregs avec les influences contemporaines.

 

LES applaudissements sont soutenus. Au moment de monter sur la scène du Dusk Dawn Club de Beijing ce soir-là, Omar et les autres membres d'EZZA savourent, bien que le chemin ait été long, et parfois douloureux, pour y parvenir.

Né dans une famille de forgerons de la ville d'Agadez au Niger, aux portes du désert du Sahara, rien ne prédestinait Goumour Omar Adam, 37 ans, à devenir musicien. Entre contraintes sociales, rejet familial et départ pour l'étranger, son parcours est une ode à la musique à laquelle l'artiste convie CHINAFRIQUE.

« C'est notre premier concert en Chine, et en Asie plus généralement. Bien sûr, nous sommes un peu nerveux quant à la réaction des gens, mais nous croyons que notre musique est universelle et que tout le monde est en mesure de l'apprécier », confie Omar peu avant le concert.

Mais très vite, le trio, vêtu de l'habit traditionnel touareg, entraîne l'audience dans une transe musicale fascinante de deux heures, à travers les terres lointaines du Sahara. La musique, composée de sonorités traditionnelles et d'influences contemporaines, fait son œuvre : le public est conquis.

Hériter et innover

Avec un sourire timide, qui contraste avec sa formidable présence sur scène, Omar finit par livrer les détails de son parcours…

À l'âge de 11 ans, son père lui offre un lecteur cassettes. C'est une révélation pour le jeune garçon, qui entreprend la fabrication d'une guitare avec des matériaux de récupération. Mais son père s'inquiète : cette nouvelle passion est en train de détourner Omar du métier familial. Il brise alors l'instrument et lui interdit de jouer de la musique. Un moment dont Omar se souvient avec précision. « Je viens d'une caste de forgerons et il ne nous est pas permis de faire de la musique. La pression de mes parents et de la société en général a été très forte. » Contraint d'obéir, Omar termine son apprentissage et finit par devenir forgeron. Mais sa passion pour la musique est toujours là, belle, ferme et immuable.

En 2010, il a 30 ans et se lance dans la grande aventure de l'expatriation. Il débarque à Toulouse, dans le sud de la France, où il gagne un peu d'argent en vendant de petits bijoux touaregs sur un marché. Mais il est désormais loin des contraintes, et libre de se consacrer à la musique. Entièrement autodidacte, Omar apprend en grattant sa guitare et au contact d'autres musiciens, lorsque les clients se font rares.

C'est ainsi qu'il rencontre Menad Moussaoui, le bassiste du groupe. Menad perçoit son potentiel et commence à travailler plus régulièrement avec lui, avant que Stéphane Gratteau, le batteur, ne finisse par les rejoindre. EZZA est né (voir encadré).

Depuis mars 2013, la popularité du trio – composé d'un Touareg nigérien, d'un Kabyle algérien et d'un Français élevé dans la musique jazz – grandit rapidement, et s'étend désormais bien au-delà de l'Afrique. Le groupe a joué dans plusieurs pays, la Chine en dernier lieu. Leur performance à Beijing a d'ailleurs marqué le lancement d'une tournée dans huit villes du pays.

 

Goumou Omar Adam, le guitariste du groupe, chante pour le droit des femmes et l’éducation des enfants.

 

Pleins feux sur le désert

De fait, à chacune de ses étapes, le groupe en profite pour aller à la rencontre du public et partager un peu de la culture touareg.

« Cette musique vient du désert, où l'horizon s'étend à l'infini indéfiniment, explique Stéphane. Et cela a profondément influencé la musique touareg. C'est pur, c'est une évidence, c'est comme une transe. » Et d'ajouter : « Quand nous avons commencé, nous avons mis un certain temps à comprendre nos rythmes respectifs, mais nous avons fini par trouver notre propre harmonie. »

Toujours en quête de nouvelles influences, le groupe reste toutefois fier de ses origines et solidement ancré dans ses racines. « Nous créons nos propres chansons, mais nous le faisons sur une base de musique traditionnelle », explique Menad Moussaoui. « Nous y ajoutons nos influences, mais nous veillons avant tout à garder la sonorité traditionnelle. C'est une sorte de loi tacite dans notre groupe ! », ajoute-t-il dans un éclat de rire. Avant de revenir sur le rôle-clé d'Omar : « Tout cela a été rendu possible grâce à Omar. Stéphane et moi sommes des musiciens professionnels, mais Omar est forgeron de métier, de sorte que son oreille peut ressentir si notre musique sonne vraie ou pas. »

Mais qu'en est-il du public au Niger ? « Les gens aiment notre musique. D'ailleurs, elle est diffusée à la radio là-bas. C'est un nouveau type de son pour eux, mais ils peuvent reconnaître les rythmes et l'harmonie traditionnels », explique Omar. Stéphane Gratteau, lui, se rappelle une anecdote : « Les gens sont particulièrement impressionnés par le fait que nous pouvons chanter dans leur langue, le tamashek. Quand le frère d'Omar m'a vu, moi, un Français, parlant une langue touareg, il a trouvé cela extraordinaire ! »

D'un point de vue plus personnel, la famille d'Omar a fini par accepter le fait que leur fils n'était sans doute pas destiné à devenir forgeron et sont très fiers, aujourd'hui, de sa carrière. « Lorsque ma famille a entendu notre musique pour la première fois, ils ont été littéralement choqués. "Comment as-tu appris à jouer ?", m'ont-ils demandé. Je leur ai dit que j'avais appris par moi-même, parce que j'aime la musique. Si tu aimes quelque chose, alors tu peux le faire, c'est ce que je crois. Aujourd'hui, ma famille est très contente d'écouter nos chansons », conclut Omar dans un sourire.

Un engagement de tous les instants

Mais au-delà de l'aspect artistique, EZZA a fait de l'engagement son crédo. Un engagement qui se reflète dans leurs paroles, comme dans le titre Izalan Manino, qui dénonce les mariages forcés, par exemple. Le groupe n'hésite pas non plus à aborder la question des réfugiés, l'égalité des sexes, et d'autres sujets d'importance.

« Notre message porte sur la paix, l'éducation des enfants, les droits des femmes. Au Niger, leur situation n'est d'ailleurs pas très bonne. Elles ne peuvent pas voyager, pas aller à l'école ou jouer de la musique, rien. Nous souhaitons changer cela », affirme Omar.

« En Afrique, la musique est toujours politique : il est plus facile de transmettre un message et d'échanger des idées à travers la musique que par des discours ou la violence », appuie Stéphane Gratteau. Et bien que le public de Beijing n'ait peut-être pas bien saisi toute la portée de leurs paroles, il est bel et bien tombé sous le charme du groove du désert des trois musiciens.

Pour vos commentaires : francoisdube@chinafrica.cn

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