2017-08-01 |
BRICSBUSTER! |
par Sudeshna Sarkar et Xia Yuanyuan | VOL.9 |
Mots-clés: film ; BRICS |
Les créateurs et les acteurs de Where Has Time Gone , tous issus de pays membres des BRICS.
Les films de Jahmil Qubeka étaient tous dans sa tête. En tant que Sud-Africain noir ayant grandi à l'époque de l'apartheid, il a vu une nation divisée en « mini pays » par l'administration, les homeland states, où les gens étaient confinés en fonction de la couleur de leur peau. Il a vécu dans la République de Ciskei, un territoire désigné pour le peuple Xhosa, et dans les années 1980, tous ses habitants ont vu leur citoyenneté sud-africaine révoquée.
« J'avais besoin d'un passeport pour entrer dans mon propre pays », explique l'homme de 38 ans. « Ce n'était pas l'Afrique du Sud ! Mes films étaient ma façon d'y échapper. J'ai commencé à regarder tout ce que je pouvais, presque voracement, et puis j'ai commencé à faire mes propres films dans ma tête. »
Céréonie de clôure du Festival du film BRICS.
Puissance des images
L'une des premières histoires sur pellicule l'a marqué durablement : L'homme à la caméra, un documentaire muet du pionnier soviétique Dziga Vertov. « Le fait qu'un film de 1929 puisse toucher un jeune homme des décennies plus tard démontre la puissance des films », explique Qubeka. « C'est ce film qui m'a décidé à devenir cinéaste. »
Et avec trois longs-métrages à son actif, ce jour-là est arrivé. En outre, après les premières élections démocratiques libérées de la question raciale en 1994, l'Afrique du Sud a connu une vague considérable de changement. « Nous avons des problèmes politiques et des défis administratifs, mais l'Afrique du Sud est un pays libre », poursuit-il. « Nous pouvons aller où nous voulons. C'est notre terre, c'est notre droit ! »
Mais il y avait également beaucoup de choses à célébrer lorsque la délégation sud-africaine des directeurs de film, des acteurs, et des professionnels de l'industrie du divertissement est arrivée à Chengdu, une ville avec 5 000 ans d'histoire – mais aux infrastructures de pointe, dans la province du Sichuan – pour assister au deuxième Festival du film BRICS en juin.
« Nous sommes la plus jeune nation des BRICS et donc notre vision du monde est encore restreinte », développe Qubeka, qui faisait partie de la délégation. « Nous n'avons aucune idée de notre place dans le monde, mais les BRICS nous donnent une place à la table des nations. »
Les BRICS sont ainsi passés de quatre à cinq membres, l'Afrique du Sud ayant rejoint le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine en 2010. Et après une série de sommets annuels des dirigeants pour planifier le développement du groupe, l'accent a été mis sur la coopération culturelle et les échanges interpersonnels.
Ainsi, lors du septième Sommet BRICS à Ufa, en Russie, en 2015, Narendra Modi, le Premier ministre indien, a suggéré que les pays membres organisent des événements populaires comme un tournoi de football annuel pour les moins de 15 ans et un festival du film BRICS, afin de partager les cultures et les histoires. Par la suite, le premier Festival du film BRICS a eu lieu à New Delhi, en Inde, l'année dernière, suivie par le Festival du film BRICS de Chengdu, en prélude au neuvième Sommet BRICS qui se tiendra en septembre à Xiamen, dans la province du Fujian, en Chine.
« Ce forum est très important parce qu'il a un aspect économique, un aspect politique et des relations fortes entre personnes », a déclaré Marcos Caramuru de Paiva, l'ambassadeur brésilien en Chine, qui a dirigé la délégation brésilienne au Festival de Chengdu. « Cela permet de façonner la future coopération. »
Accords de coproduction
Un aspect de la coopération a déjà porté ses fruits : il s'agit de la première coproduction BRICS, Where Has Time Gone, une compilation de cinq courts-métrages réalisés par cinq cinéastes des cinq pays membres sur le thème du temps. Les films ont été diffusés au Festival de Chengdu. « Nous partageons des similitudes sociales et des civilisations profondes, mais nous avons différentes façons de faire face aux défis d'un monde, où les vies changent si vite. Ces cinq courts-métrages représentent cinq cultures diversifiées. » C'est ainsi que Jia Zhangke, l'un des réalisateurs chinois les plus reconnus de notre époque, et coordinateur du film de coopération, a présenté le projet au public.
L'idée d'un film collaboratif BRICS est venue du Président chinois Xi Jinping au Sommet de l'année dernière. Les huit mois qui ont suivi ont ensuite été mouvementés pour Jia, après avoir été choisi pour réaliser le court-métrage de la Chine et coordonner l'ensemble. Mais le choix des autres réalisateurs – Qubeka, pour l'Afrique du Sud, le réalisateur russe Alexey Fedorchenko, l'Indien Madhur Bhandarkar et le Brésilien Walter Moreira Salles – l'écriture des manuscrits et les tournages, ont finalement pu se faire grâce aux moyens de communications modernes.
Where Has The Time Gone sera également projeté au Sommet BRICS de Xiamen, en même temps que d'autres projections publiques prévues dans toute la Chine. Jia a par ailleurs annoncé que des négociations étaient en cours avec des agences cinématographiques pour d'autres festivals de cinéma ainsi qu'une distribution internationale. Il a également été décidé qu'il y aurait cinq coproductions BRICS entre 2017 et 2022.
Le producteur chinois, Han Sanping, vétéran de l'industrie cinématographique et ancien responsable de la China Film Group Corp., a souligné comment ces films pourraient bénéficier des ressources de la Chine. « La Chine a le plus grand marché et dispose de nombreuses ressources », précise-t-il. « Pour chaque film projeté en Chine, ce sont des dizaines de milliers de spectateurs. »
Les statistiques montrent qu'en 2016, les recettes du box-office chinois s'élevaient à 49,28 milliards de yuans (7,4 milliards de dollars). En mai 2017, il y avait plus de 45 000 salles de cinéma à l'échelle nationale, soit un bond exponentiel comparativement aux 1 845 qui existaient en 2002. Aujourd'hui, l'industrie cinématographique chinoise, ce sont près de 2 000 gros investisseurs et plus de 500 entreprises de capital-risque.
La communauté cinématographique BRICS a également été témoin de la signature d'accords de coproduction entre les pays membres. Makhotso Magdeline Sotyu, vice-ministre sud-africaine des Arts et de la Culture, a déclaré que l'Afrique du Sud envisageait de signer des traités de coproduction avec tous les autres membres du groupe BRICS en 2018. Elle a par ailleurs rappelé que la Chine fournirait 40 bourses aux ressortissants BRICS pour le développement durable des industries cinématographiques dans le groupe. Enfin, l'Académie du Film de Beijing accueillera des étudiants en cinéma et des jeunes talents du Brésil, de Russie, d'Inde et d'Afrique du Sud jusqu'au doctorat.
« Pendant l'apartheid, les options étaient limitées, mais les quinze dernières années ont vu un grand nombre d'histoires typiquement sud-africaines passer au premier plan, avec des longs-métrages de réalisateurs indépendants », explique Charles Mabaso, directeur du département culturel sud-africain de l'art et de la culture. « Nous soutenons les films sur l'histoire et le patrimoine de l'Afrique du Sud, sur nos héros et nos héroïnes méconnus, et les relations de l'Afrique du Sud avec le reste du monde. »
Mandla Dube en est un bon exemple. Dans Kalushi, qui date de 2016, le réalisateur sud-africain retrace la vie de Solomon Mahlangu, un marchand ambulant devenu l'icône de la lutte contre l'apartheid, après avoir été pendu par les autorités. Le film a créé la sensation lors du premier Festival du film BRICS.
« C'est le genre d'histoire que nous ne voulons pas perdre », appuie Mabaso. « La conscience de nos jeunes ne peut se développer si nous oublions de tels événements. Nous sommes toujours sous la mainmise des films américains, mais maintenant que nous disposons des infrastructures nécessaires, j'espère que nous irons de l'avant.
Affiche du film lauréat Where Has The Time Gone.
Corriger une injustice
Bien que la productrice et réalisatrice sud-africaine Xoliswa Sithole, vainqueur des BAFTA et des Peabody Awards, ait grandi dans ce qui était alors la Rhodésie, le Zimbabwe d'aujourd'hui, l'environnement dont elle se souvient était aussi restrictif que l'apartheid de l'Afrique du Sud. « Je n'ai jamais vu un seul visage noir à la télévision », déclare ainsi la cinéaste de 50 ans, qui était membre du jury au Festival du film de Chengdu. « La seule fois où nous avons rencontré des enfants blancs, c'était à l'école. »
Sithole, qui est retournée en Afrique du Sud après la libération de Nelson Mandela en 1990, pense que le groupe des BRICS, qui représente 40 % de la population mondiale et plus de 20 % du PIB mondial, est une occasion pour les cinq pays en développement de changer la dynamique de la conscience mondiale.
La réalisatrice pense aussi que les cinéastes BRICS ont la responsabilité de rendre le cinéma et l'art accessible au plus grand nombre. « Il faut décorréler l'art de l'élite. En Afrique du Sud, par exemple, il s'agissait du pré carré des hommes blancs depuis très longtemps. Le mandat de l'art est d'éduquer et d'élever les gens. »
Dans leur lutte contre l'injustice mondiale, les cinéastes BRICS envisagent de travailler en dehors de leur communauté pour donner une voix aux marginalisés. Sa première visite en Chine a convaincu la productrice brésilienne Claudia Da Natividade, de fonder une société de production dédiée au sort des Brésiliens d'origine chinoise, avec son compagnon Marcos Jorge. Basé à Sao Paolo, Zencrane Films a ainsi remporté une cinquantaine de récompenses à ce jour.
« Nous avons beaucoup d'immigrés chinois au Brésil, en particulier à Sao Paolo », raconte-t-elle. « Une partie d'entre eux est riche et puissante, tandis que l'autre est très pauvre et subsiste de la vente de produits et de main-d'œuvre chinois. Bien qu'ils contribuent à l'économie, les Brésiliens ne se connectent pas avec eux. Les films BRICS sont une excellente occasion de donner de la visibilité à ces personnes. »
Jorge, qui a remporté 16 prix internationaux avec son premier film Estomago (L'Estomac), qui traite de la relation entre pouvoir, sexe et nourriture, est optimiste quant à la capacité de la communauté cinématographique BRICS d'initier un changement. « La prochaine étape est de faire des films se concentrant sur les thèmes universels de l'humanité. Nous avons amplement le potentiel de faire une différence dans le monde contemporain avec notre économie, notre culture et notre vitalité », développe le cinéaste.
Découvrir l'Afrique du Sud
L'Afrique du Sud organise six festivals de films documentaires chaque année et son Festival international du film de Durban est l'un des plus grands du continent. Le pays a commencé à accueillir un festival du film axé sur les BRICS, le RapidLion Film Festival, à Johannesburg.
« L'Afrique du Sud dispose d'endroits époustouflants, des studios et des talents », rappelle Mabaso. « Nous voulons que les gens puissent tourner ici car c'est très rentable en termes économiques. »
En effet, neuf provinces sud-africaines ont leurs propres installations de production et Hollywood, ainsi que d'autres sociétés étrangères, en ont tiré avantage, avec des films tournés sur place comme Les Avengeurs : l'Age d'Ultron, Sécurité Rapprochée ou District 9. Mabaso affirme encore que les films sont également un outil pour stimuler le tourisme. « Dès que vous voyez un bel endroit dans un film, vous voulez le visiter. »
Mais le meilleur bénéfice de ce deuxième Festival du film BRICS reste, peut-être, le fait de rassembler des gens de partout dans le monde cinq jours durant, et de se rapprocher à travers le partage cinématographique.
Zhang Pimin, vice-président de l'Alliance radiophonique, cinématographique et télévisuelle de Chine, l'a transcris en mots avec une simplicité émouvante, au moment de transmettre le bâton du Festival 2018 à l'Afrique du Sud.
« Nous sommes distants de milliers de kilomètres et avons des couleurs et des cultures différentes. Mais nous sommes unis sous les couleurs des BRICS. L'année prochaine, le Festival aura lieu en Afrique du Sud et nous allons continuer notre histoire d'amitié. »
(Reportage de Chengdu)
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