2023-09-08 |
Écho du passé, vision de l'avenir |
par Zhang Juan, Xia Yuanyuan et Ma Li · 2023-09-08 |
Mots-clés: revitalisation rurale ; Lishui |
La méthode ancestrale de la rizipisciculture favorise la biodiversité et offre les avantages économiques d’une double récolte.
Niché au cœur du sud-est de la province du Zhejiang, le district de Qingtian est encerclé de montagnes, le rendant a priori peu favorable à l’agriculture. Malgré cela, ses résidents ont innové avec la rizipisciculture, une pratique agricole combinant riz et poisson. Datant de plus de 1 300 ans, cette méthode a revalorisé la notion traditionnelle d’agriculture.
Au sein du village de Zhou’ao, Ye Lingmei, une nonagénaire, est le dernier témoin vivant de ce savoir-faire ancestral. Elle a légué cette expertise à son fils, Lin Guoping, désormais héritier de ce patrimoine culturel immatériel au niveau municipal.
L’approche de Qingtian repose sur une symbiose parfaite entre riz et poisson, où pisciculture et riziculture se renforcent mutuellement. En 2005, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a reconnu cette méthode en la classant parmi les « Systèmes ingénieux du patrimoine agricole mondial » (SIPAM) – une première pour la Chine et l’Asie.
La rizipisciculture de Qingtian, autrefois source alimentaire secondaire, est devenue une manne financière, d’où sa promotion croissante, y compris à l’international.
Un héritage ancestral à sauvegarder
En 2019, après avoir mené des affaires en République tchèque pendant plusieurs années, M. Lin est revenu chez lui avec une mission : préserver l’art ancestral d’incubation des alevins. Cette décision était motivée par son attachement envers sa mère vieillissante et son désir nostalgique du goût inimitable du poisson de rizière.
Le village de Zhou’ao, d’où est originaire M. Lin, n’est pas épargné par la migration des jeunes vers des horizons lointains, parfois même à l’étranger. À son retour, il a été peiné de constater que peu de villageois perpétuaient encore cette tradition piscicole, malgré leur situation géographique au cœur de la zone protégée du système rizipiscicole. « Dans la campagne de Qingtian, ce savoir-faire se transmet de génération en génération. Mais il est en péril si les nouvelles générations ne l’embrassent pas », déplore M. Lin. Pour maîtriser l’art de l’élevage des poissons de rizière, il a passé deux années à apprendre aux côtés de sa mère. Par la suite, avec une levée de fonds réussie de plus de 3 millions de yuans (380 000 dollars), il a établi une coopérative rizipiscicole. Collaborant avec l’Université océanique de Shanghai, la coopérative a mis en place un centre de recherche et production, fusionnant technologie moderne et techniques ancestrales, améliorant significativement la production et la qualité des poissons.
Grâce à la vision de M. Lin, les surfaces dédiées à la pisciculture du village sont passées de 40 mu (2,7 ha) à plus de 400 mu (27 ha) en deux ans. Sa vocation : inciter davantage de personnes à embrasser et développer cet art ancestral, visant à établir un secteur singulier, diversifié et propice à la prospérité partagée. « Afin que les générations à venir savourent le goût authentique du poisson de rizière de Qingtian », souligne-t-il.
Xu Guanhong, directeur général de Qingtian Yugong Agricultural Technology. (COURTOISIE)
Un champ aux récoltes multiples
Le 7 février 2023 à Hangzhou, les lauréats du prestigieux « Buffle d’or » 2022 ont été dévoilés. Cette distinction honore annuellement les pionniers de la revitalisation rurale et de la prospérité partagée au Zhejiang. Parmi 97 candidats en lice, Xu Guanhong, à la tête de Qingtian Yugong Agricultural Technology, s’est démarqué, rejoignant ainsi neuf autres récipiendaires. Son atout majeur ? L’innovante culture riz-poisson.
À 52 ans, M. Xu, autrefois professeur de physique secondaire et entrepreneur en France pendant cinq ans, a choisi de parier sur la rizipisciculture, reconnue par la FAO. Animé par la passion des rizières de son village d’origine, il retourne en Chine en 2007 pour fonder sa société. Il loue et aménage un espace de 50 mu (3,3 ha) pour créer sa ferme écologique, baptisée Yugong. Ce nom s’inspire d’une légende chinoise où un homme et sa famille entreprennent de déplacer une montagne obstruant leur village, symbole d’une persévérance inébranlable face aux défis. En choisissant ce nom, M. Xu s’engageait résolument dans une aventure ambitieuse.
Les premières années ont été éprouvantes pour ce néophyte. Il a dû se former auprès d’experts agricoles et d’anciens cultivateurs. Mais, à force de détermination, ses efforts ont été couronnés de succès.
Après diverses expérimentations, M. Xu a élaboré un modèle écologique de rizipisciculture, éliminant le besoin de labour, de désherbage, d’engrais et de pesticides. Pionnier, il a initié la construction d’un centre dédié à la protection des poissons de rizière endémiques de Qingtian, tout en collectant des espèces alpines voisines. Grâce à l’introduction de serres modernes et à une technologie de l’élevage artificiel avancé, la période de reproduction a été réduite de deux à un an. En quête d’amélioration continue, il a conçu une méthode pour différer la reproduction des poissons et établi un laboratoire pour diagnostiquer les maladies piscicoles, offrant gratuitement ces services essentiels aux éleveurs.
Reconnu comme une autorité en rizipisciculture, M. Xu accompagne désormais plus de 3 000 familles agricoles en partageant son savoir à travers formations et conférences. Il est résolument engagé à offrir aux agriculteurs l’opportunité d’un « champ à double récolte » tout en mettant en avant les « poissons symboles de prospérité » de Qingtian.
Soutenu par le gouvernement local, M. Xu s’est engagé dans des initiatives ciblées au sein de la coordination nationale Est-Ouest. Il a, par exemple, associé les poissons de rizière de Qingtian au district de Gulin au Sichuan. De plus, il a diffusé son modèle innovant de culture riz-poisson à travers 11 provinces au sol propice, notamment l’Anhui, le Hubei et le Fujian, fournissant alevins et technologies avancées pour soutenir la prospérité des agriculteurs locaux.
Valorisation d’un héritage chinois à l’échelle mondiale
Situé dans le district de Qingtian, le village de Longxian mise sur les richesses de la culture riz-poisson pour dynamiser l’agrotourisme. Wu Yongqiang a été pionnier parmi les villageois en inaugurant une auberge qu’il a baptisée « Rizière et poissons ». Sa spécialité, le poisson de rizière braisé, combinée à son hospitalité remarquable, attire une clientèle variée, tant locale qu’internationale. Cette affluence lui permet de générer des revenus annuels excédant 350 000 yuans (48 180 dollars).
Suivant les traces de M. Wu, Yang Xiao’ai explore une avenue différente. En tant que première et actuelle présidente honoraire de l’Association des compatriotes chinois de Qingtian en Équateur, elle a investi 20 millions de yuans (2,7 millions de dollars) dans son village d’origine pour créer un centre dédié à la découverte du patrimoine agricole mondial, ciblant principalement les élèves du primaire et du secondaire. Avec son vaste réseau de relations parmi la diaspora chinoise, elle ambitionne d’attirer les descendants de Chinois expatriés et la jeunesse internationale, les invitant à savourer la magie de ce trésor de Qingtian.
Le modèle agricole chinois a connu un essor international, offrant à de nombreux pays en développement l’espoir d’augmenter leur prospérité. À travers la
coopération Sud-Sud, le Nigeria a intégré la technologie rizipiscicole de Qingtian, visant à stimuler les revenus de ses agriculteurs. Sous la guidance d’experts chinois, la production nigériane de riz et de tilapia a quasiment doublé, suscitant l’enthousiasme des agriculteurs locaux. Au-delà de l’Afrique, le modèle symbiotique riz-poisson de Qingtian s’est propagé à travers l’Asie du Sud-Est, l’Asie du Sud, l’Europe et les Amériques.
Récemment, profitant de l’initiative « la Ceinture et la Route » et en s’appuyant sur les plus de 20 000 restaurants dirigés par la diaspora de Qingtian à l’étranger, le district a mis en avant le riz de vivier et le poisson de rizière séché dans les cuisines internationales, contribuant ainsi à la promotion de la richesse agricole et culinaire chinoise.
Actuellement, Qingtian mise sur un modèle de culture biologique hautement rentable, combinant avantages écologiques et avancées technologiques. En 2022, le district a consacré 60 400 mu (4 027 ha) à la culture riz-poisson, avec un rendement moyen de 480 kg de riz par mu (0,07 ha) et 29,5 kg de poisson par mu. Cette année-là, cette activité a rapporté 280 millions de yuans (38,5 millions de dollars), bénéficiant à 35 000 agriculteurs et augmentant le revenu moyen de 4 600 yuans (633 dollars) par mu.
Luo Ming, directeur adjoint du Bureau de l’agriculture et des affaires rurales de Qingtian, estime que le succès international du système de symbiose riz-poisson de Qingtian est dû à sa capacité à diminuer significativement l’usage d’engrais chimiques et de pesticides. Ce système renforce la biodiversité de l’écosystème, maintient l’équilibre écologique des cultures et cultive une relation harmonieuse entre l’homme et la nature, tout en permettant une double récolte de riz et de poisson.
Reportage de Lishui
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