2024-07-05 |
Palette de changements |
VOL. 16 / JUILLET 2024 par KIRAM TADESSE · 2024-07-05 |
Mots-clés: Éthiopie ; Yi Jing |
Un artiste éthiopien dévoile une série de peintures singulières, chacune représentant l’un des 64 hexagrammes du Yi Jing.
Dawit Muluneh en pleine création d’une peinture d’hexagrammes dans une galerie d’art à Addis-Abeba, en Éthiopie, le 18 mars. (XINHUA)
Dawit Muluneh, né à Addis-Abeba, capitale de l’Éthiopie, a développé dès son plus jeune âge une passion pour la peinture et la sculpture. Fasciné par son oncle artiste, il délaissait les terrains de jeu pour observer avec attention ses techniques de peinture. Au fil du temps, il est devenu particulièrement habile dans l’art du portrait. À l’école, son talent était si reconnu qu’il donnait déjà des cours à ses camarades de classe, y compris à ceux plus âgés.
Diplômé en 1995 de l’École Allé des beaux-arts et de design de l’Université d’Addis-Abeba, anciennement École des beaux-arts, M. Muluneh a trouvé un sens profond à sa vie dans l’art de la peinture. Il est aussi l’un des premiers Éthiopiens à devenir artiste de studio, ouvrant la voie à de nombreux talents émergents. En plus de la peinture, il est reconnu comme graphiste numérique, enrichissant ses œuvres avec des matériaux naturels de toute l’Éthiopie. M. Muluneh a participé à ce jour à plus de 27 expositions, tant collectives qu’individuelles, en Afrique, aux États-Unis, en Europe, en Russie et au Japon.
Avec plus de 25 ans dédiés à l’art, il a récemment trouvé une nouvelle source d’inspiration dans le Yi Jing, ou le Livre des changements, un ancien texte chinois datant de plus de 5 000 ans, explorant la sagesse et les symboles.
L’art à partir de symboles
L’initiative de transposer les concepts du Yi Jing en peinture et en sculpture a été lancée par Gossa Oda, fondateur de Medemer Africa Art and Sculpture Space, situé au cœur d’Addis-Abeba. Artiste peintre lui-même, M. Oda est un fervent promoteur de l’art local, investissant personnellement dans la mise en avant des artistes éthiopiens. « M. Oda nous a présenté un exemplaire du Yi Jing et a expliqué son importance historique et culturelle pour l’humanité. Cette présentation m’a inspiré à le représenter à travers mes œuvres artistiques », confie-t-il à CHINAFRIQUE.
Le Yi Jing, qui sert de guide philosophique depuis des millénaires, propose une approche de la vie fondée sur la vertu, explique M. Muluneh. Le texte se structure autour de huit trigrammes symbolisant des éléments tels que le ciel (qian), l’eau (kan), la montagne (gen), le tonnerre (zhen), le vent (xun), le feu (li), la terre (kun) et le lac (dui). Ces trigrammes sont à la base de 64 hexagrammes ou gua, organisés en un duo de canaux, symbolisant le ciel et la terre, et créant une dynamique visuelle dans ses œuvres qui traduisent le flux entre ces deux entités.
Après une étude approfondie du Yi Jing, M. Muluneh s’est attelé à la tâche de donner une expression artistique à chacun des 64 hexagrammes. « Chaque œuvre illustre la dualité yin et yang qui régit l’univers, et ils sont entrelacés les uns avec les autres, reflétant la vie quotidienne et ses défis », explique-t-il. Outre la représentation des hexagrammes, il explore également des thèmes tirés de la nature, tels que le soleil, la lune, les rivières, la flore, la faune, l’anatomie humaine, et certains objets traditionnels chinois, comme l’épée.
M. Muluneh souligne que le Yi Jing incarne les notions de « vérité » et de « changement », encourageant une perspective de vie positive. « Ce n’est pas une fiction ; le texte a une réelle substance et sert de référence continue », fait-il valoir. Il a pris exemple sur les deux facettes de la vie humaine que le Yi Jing évoque : joie ou tristesse, succès ou échec, commencement ou fin, chance ou malchance.
Il lui a fallu un an pour achever cette série de peintures, qui capturent divers aspects de la vie humaine et de ses moyens de subsistance. Enthousiaste, il est impatient de se lever chaque matin pour aller peindre dans son atelier.
Il était essentiel pour lui de maintenir la structure originelle de chaque hexagramme pour honorer l’intention des auteurs chinois, tout en y apportant sa propre interprétation. « J’ai adapté les hexagrammes avec mes propres couleurs et contextes pour enrichir leur signification », explique-t-il. Bien que ses peintures soient réalisées sur des supports plats, il leur confère une profondeur, une esthétique et une palette de couleurs uniques, facilitant ainsi leur compréhension et leur appréciation.
Dawit Muluneh accroche au mur l’une de ses peintures d’hexagrammes pour l’exposer dans une galerie d’art à Addis-Abeba, en Éthiopie, le 18 mars. (XINHUA)
La dualité à travers la culture
Pour M. Muluneh, les caractères du Yi Jing incarnent une connexion profonde entre « la grandeur du ciel, la grandeur de la terre, et celle de l’être humain », un écho qui trouve également sa place dans les cultures éthiopiennes. Bien qu’il ait découvert le livre il y a seulement deux ans, M. Muluneh a pu y puiser de l’inspiration en explorant les rigoureuses normes morales chinoises et leurs parallèles avec les traditions éthiopiennes.
Selon lui, l’Éthiopie et la Chine partagent des symboles talismaniques reflétant une sagesse ancienne en astronomie, médecine et spiritualité. Il affirme que ces symboles sont des pierres angulaires de leurs cultures, créant un dictionnaire visuel commun.
Il constate que les deux nations possèdent une richesse culturelle unique, incluant l’utilisation de l’encre noire en peinture, un lien profond avec la nature, et des cérémonies du thé essentielles pour la communauté. Leurs traditions englobent aussi la médecine traditionnelle, la représentation religieuse via les monastères, et la méditation. Alors que la Chine a inventé le papier, les Éthiopiens écrivaient sur des peaux de chèvre, et leurs monnaies anciennes, instruments de musique et méthodes de construction traditionnelles partagent des similitudes remarquables.
Âges et sagesse
Les visiteurs de Medemer Africa Art and Sculpture Space, où sont exposées les œuvres de M. Muluneh, expriment un vif intérêt, surtout ceux familiarisés avec le Yi Jing. Leur enthousiasme rappelle celui de Confucius, qui, à l’âge de 70 ans, souhaitait consacrer 50 années supplémentaires à l’étude du Yi Jing pour atteindre la perfection morale.
Fekadu Abebe, un admirateur régulier de l’œuvre de M. Muluneh, se dit impressionné par l’unicité de son art et ce qu’il symbolise. « À travers ces peintures, j’ai découvert une sagesse partagée entre les anciennes civilisations éthiopienne et chinoise », confie-t-il.
Le prochain projet de M. Muluneh est de créer des peintures qui illustrent les aspects socioculturels quotidiens partagés entre les sociétés éthiopienne et chinoise. « Dans un monde submergé par l’art numérique, il est essentiel de valoriser également l’art peint à la main », conclut-il.
Reportage d’Éthiopie
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