2025-06-03 |
L'édifice de la résilience |
VOL. 17 / JUIN 2025 par LI XIAOYU · 2025-06-03 |
Mots-clés: CDC Afrique ; approche sanitaire ; Chine |
Vue aérienne du CDC Afrique à Addis-Abeba, en Éthiopie. (PHOTOS : COURTOISIE)
Au cœur d’Addis-Abeba, en Éthiopie, là où les traditions millénaires croisent les aspirations du futur, un édifice étincelant d’acier et de verre redéfinit discrètement l’avenir de la santé en Afrique. Le nouveau siège du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies (CDC Afrique) ne se contente pas d’abriter des bureaux ou des laboratoires : il incarne une promesse. Celle d’un partenariat audacieux, d’un progrès partagé, d’un engagement sincère en faveur de la santé publique à l’échelle continentale.
Pour le Dr Tamene Taye Deriba, spécialiste des maladies infectieuses à l’Hôpital général de Bishoftu, cette infrastructure a déjà changé la donne. Il se souvient de l’impuissance éprouvée lors de l’épidémie de choléra de 2021, contraint de suivre à distance l’état de santé de la famille d’un ami, avec des données obsolètes et des moyens dérisoires. « Nous avions l’impression de crier dans le vide », confie-t-il.
Aujourd’hui, dans le Centre d’opérations d’urgence (COU) ultramoderne du CDC, il contemple un écran géant vibrant d’alertes en temps réel : foyers naissants au Mozambique, cas suspects au Cameroun, signaux préoccupants au Soudan. Toutes ces données sont remontées via une application utilisée par des médecins comme lui, reliant d’un simple glissement de doigt les cliniques rurales au centre nerveux de la riposte continentale. « Maintenant, je sais que je ne suis pas seul. Nous faisons partie de quelque chose de plus grand : un vaste réseau qui concrétise notre vision commune », affirme-t-il, empreint de fierté.
Édifier la santé et l’espoir, brique après brique
Projet phare de l’initiative « la Ceinture et la Route » dans le domaine de la santé et pilier des engagements pris lors du Sommet de Beijing 2018 du Forum sur la Coopération sino-africaine, le siège du CDC Afrique témoigne d’une ambition partagée pour un Sud global plus résilient. S’étendant sur 23 570 m², le complexe comprend des bureaux administratifs, un COU, un centre d’information, des laboratoires biologiques de haute sécurité et des logements pour les experts.
Moussa Faki Mahamat, ancien président de la Commission de l’Union africaine (UA), a salué « une étape majeure dans les relations sino- africaines », tandis que l’ancienne vice-présidente Monique Nsanzabaganwa l’a décrit comme « un exemple éclatant de l’engagement chinois ». En renforçant la surveillance épidémiologique, en favorisant la recherche et en améliorant la coordination régionale, le centre s’inscrit pleinement dans les aspirations de l’Agenda 2063 de l’UA, tourné vers le développement humain et l’intégration continentale.
La phase I du projet, achevée en janvier 2023 après seulement deux ans de travaux, a dû surmonter de nombreuses difficultés. Gao Jiajia, chef de projet pour la China Civil Engineering Construction Corporation (CCECC), évoque des pénuries de matériaux et des goulets d’étranglement logistiques ayant retardé les travaux de 54 jours. Pour rattraper ce retard, les équipes ont adopté un système de rotation en continu, avec trois équipes se relayant jour et nuit. « Nous avons perdu entre 10 et 15 kg chacun », se souvient-il. « Ce n’était pas seulement éprouvant : c’était un véritable test de volonté. »
En novembre 2020, le conflit armé dans le nord de l’Éthiopie est venu ajouter une pression supplémentaire. À 400 km à peine du chantier, les combats se rapprochaient. Des plans d’évacuation ont été mis en place, des bus maintenus en alerte, des sacs « go-bag » prêts à l’usage. Lorsque les chaînes d’approvisionnement ont été rompues pendant plus de 20 jours, les prix ont triplé, et le carburant des générateurs, essentiels pour les quarts de 16 heures, est venu à manquer. L’équipe a dû puiser dans une réserve de 40 000 litres pour continuer les travaux.
La construction des laboratoires P3 a exigé une rigueur extrême : étanchéité parfaite, fondations sans vibration, précision au millimètre près – des standards proches de ceux de l’industrie spatiale. Grâce à une collaboration étroite entre ingénieurs chinois et spécialistes africains, ce défi technologique a été relevé avec brio.
Le 26 novembre 2021, la structure principale a été mise hors d’eau avec huit jours d’avance. Lors de la cérémonie marquant cette étape, Amira Elfadil, commissaire aux affaires sociales de l’UA, a salué « l’aide désintéressée » de la Chine, ainsi que la qualité et la rapidité de l’ouvrage.
Au-delà des fondations et des murs, c’est un véritable héritage de compétences qui a été transmis : plus de 1 000 emplois locaux créés, des formations en génie civil dispensées, des écoles soutenues – comme l’École primaire Kotebe.
L’écran géant du CDC Afrique affichedes alertes en temps réel.
Un vaste réseau de guérison
Le continent africain continue de porter une charge disproportionnée de maladies évitables. Selon la Banque africaine de développement, bien qu’il n’abrite que 15 % de la population mondiale, il représente près de 50 % des décès dus aux maladies transmissibles. L’Organisation mondiale de la santé estime que 94 % des cas mondiaux de paludisme surviennent en Afrique, tandis que les résurgences d’Ebola ou de choléra soulignent l’urgence d’une réponse coordonnée et rapide.
C’est précisément ce que permet le CDC Afrique. Avec ses laboratoires de dernière génération, ses espaces de formation, ses centres de données et ses salles de conférence, il constitue un levier stratégique. Son COU a réduit les délais de réaction, les faisant passer de plusieurs semaines à quelques heures. Mais l’action du centre va au-delà des urgences : il renforce les systèmes de surveillance, promeut la recherche scientifique et soutient le développement de traitements adaptés aux menaces actuelles et futures.
Jean Kaseya, directeur général du CDC Afrique, estime que ce nouveau siège renforcera considérablement les capacités du centre en santé publique, jusqu’à en faire une référence mondiale en matière de prévention et de contrôle des épidémies.
Ce projet illustre aussi un tournant dans la coopération Sud-Sud. Depuis 1963, la Chine a envoyé plus de 25 000 professionnels de santé dans 48 pays africains, pris en charge plus de 230 millions de patients et formé plus de 80 000 travailleurs locaux. Le CDC Afrique en est l’illustration la plus ambitieuse à ce jour.
Dans la lumière bleutée des écrans et le murmure des machines de laboratoire, le Dr Tamene ne voit pas que des données : il y lit l’espérance. Celle que les médecins africains n’aient plus à attendre les résultats de laboratoires étrangers. Celle que les épidémies transfrontalières puissent être étouffées dans l’œuf. Celle, enfin, que l’Afrique, longtemps en bout de chaîne des interventions sanitaires, puisse demain en devenir la force motrice.
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