2025-07-07 |
Sous la peau de l'océan |
VOL. 17 / JUILLET 2025 par NI YANSHUO · 2025-07-07 |
Mots-clés: Afrique du Sud |
L’Afrique du Sud accroît son engagement dans l’exploration polaire et océanique.
Le S.A. Agulhas II en route de Durban vers Le Cap. (NI YANSHUO)
Sous le commandement d’Ashley Johnson, le portail de fer situé à tribord du S.A. Agulhas II s’est lentement ouvert, laissant descendre avec précaution les filets bongo jumelés, suspendus à une structure mécanisée. Progressivement, ils ont plongé jusqu’à 100 mètres de profondeur. Après un remorquage minutieux, les filets ont été remontés, livrant leur précieuse récolte : du plancton, que les scientifiques se sont empressés d’analyser. Parallèlement, ces mêmes filets avaient collecté des données essentielles sur la température, la salinité, la conductivité et la profondeur des eaux. Vint ensuite le déploiement des bouteilles Niskin, destinées à prélever des échantillons d’eau à divers niveaux.
« En analysant ces échantillons, nous pouvons estimer l’abondance de la biomasse et ainsi évaluer la concentration de plancton dans cette colonne d’eau de 100 mètres », a expliqué M. Johnson, directeur de la recherche océanique au Département sud-africain des forêts, de la pêche et de l’environnement (DFFE). « C’est fondamental, car le phytoplancton constitue la base de toute la chaîne alimentaire marine. Une forte abondance de phytoplancton entraîne une prolifération de zooplancton, qui s’en nourrit, et dont se nourrissent à leur tour les poissons. Si les niveaux de phytoplancton chutent, c’est l’ensemble de la chaîne qui s’en trouve affectée, jusqu’à la raréfaction des poissons. »
Cette opération s’est déroulée le 25 mai, alors que le S.A. Agulhas II, brise-glace sud-africain dédié au ravitaillement et à la recherche polaire, propriété du DFFE, faisait route de Durban vers Le Cap. Le navire venait tout juste de rentrer d’une mission sur l’île Marion, après avoir accosté à Durban le 24 mai pour une journée portes ouvertes qui a attiré plus de 3 000 visiteurs, curieux de découvrir ses missions scientifiques, notamment ses expéditions vers la station de recherche sud-africaine en Antarctique.
Le 24 mai, le navire avait repris la mer pour un nouveau périple, avec à son bord l’équipage, des scientifiques, des journalistes et des responsables du DFFE. Le ministre des Forêts, de la Pêche et de l’Environnement, Dion George, faisait également partie du voyage. Le navire a atteint Le Cap le 27 mai, jalonnant son parcours d’une série d’activités de recherche.
Long de 134,2 mètres et affichant une jauge brute de 12 897 tonnes, le S.A. Agulhas II est le seul navire africain dédié à la recherche polaire et océanographique. Depuis sa mise en service en 2012, il a conduit de nombreuses missions dont M. George souligne l’importance. « Je suis fier de cet équipement et des recherches que nous sommes en mesure de conduire. Il est à la pointe du progrès mondial, et nous le mettons au service de la communauté internationale », a-t-il confié à CHINAFRIQUE. « Nous sommes le seul pays africain à disposer d’une telle infrastructure. Nous allons en Antarctique, et ce travail bénéficie non seulement à l’Afrique, mais au monde entier. »
Le ministre s’est également enthousiasmé pour les expériences conduites à bord : « J’ai été fasciné de voir comment ils prélèvent directement des échantillons dans l’océan et y détectent la présence de microplastiques. Nous avons pu en retracer l’origine et intégrer ces informations à la base de données mondiale. Cela m’est particulièrement précieux, notamment pour défendre mes positions lors des prochaines négociations sur le traité relatif aux plastiques, et au-delà. Je n’avais pas pleinement mesuré l’étendue de cette pollution. Cette expérience a été extrêmement précieuse. »
Il a également souligné l’importance de la journée portes ouvertes organisée à Durban. « Notre objectif était d’aider nos concitoyens à comprendre le type de recherche scientifique que nous menons en Afrique du Sud et les capacités uniques de notre navire. Beaucoup de Sud-Africains ignorent l’existence de cet atout national. Cette journée a donc été une belle occasion de sensibilisation et de fierté collective », a-t-il ajouté.
À bord du navire, CHINAFRIQUE a eu le privilège de réaliser une interview exclusive de M. George, au cours de laquelle il a partagé ses réflexions sur les avancées en matière de protection des océans et sur la coopération entre l’Afrique du Sud et la Chine dans ce domaine.
Dion George, ministre sud-africain des Forêts, de la Pêche et de l’Environnement. (NI YANSHUO)
CHINAFRIQUE : Vous avez dit être très fier de cette installation. En tant que pays en développement, pourquoi est-il important pour l’Afrique du Sud d’investir dans la recherche océanographique ?
Dion George : Face au changement climatique, nous avons besoin de données pour orienter notre action. Sans information, nous avançons à l’aveugle, alors que nous devons à la fois atténuer ses effets et nous y adapter. La recherche que nous menons sert ce processus, au bénéfice de tous.
Par ailleurs, en tant que pays du Sud global engagé dans de nombreuses coopérations internationales, nous adoptons une position de non-alignement : amis avec tous, nous occupons une place singulière sur la scène mondiale. Beaucoup s’intéressent à notre position et à nos actions. Il est donc essentiel pour nous de contribuer activement, en partageant notre expertise et nos ressources. Nous croyons profondément en cet échange réciproque.
Quels avantages l’Afrique du Sud retire-t-elle de cet engagement ? Et quelles contributions a-t-elle apportées ?
Notre Programme antarctique national représente un investissement conséquent. L’exploitation du navire est coûteuse et, dans un contexte économique morose, cela pèse sur nos finances. Nous devons donc faire preuve de créativité : affrètement du navire à des tiers, diversification des sources de revenus… C’est indispensable, d’autant que nous faisons face à d’autres défis internes majeurs, comme l’éducation ou les questions sociales.
Nous cherchons un équilibre, mais le gouvernement reste convaincu que la recherche et développement doit rester prioritaire. C’est un moteur essentiel pour la croissance du pays. La négliger nous condamnerait à la stagnation. En poursuivant ces investissements, nous espérons contribuer à des avancées utiles au monde entier et inciter notre jeunesse à innover, comme l’ont fait d’autres pays, dont la Chine. La recherche est un levier puissant pour sortir de la pauvreté et bâtir le succès.
Il existe de nombreux projets de coopération entre la Chine et l’Afrique du Sud. Pourriez-vous évoquer ceux liés à la protection de l’environnement ?
Je suis très enthousiaste quant aux échanges récents avec la Chine, d’autant que nous assurons actuellement la présidence du G20. Mon ministère est notamment en charge de la lutte contre le trafic illicite d’espèces sauvages. J’ai eu des discussions constructives avec l’ambassadeur de Chine en Afrique du Sud et mon homologue chinois pour renforcer notre coopération.
Je travaille notamment à un mémorandum d’entente que je souhaiterais voir signé par l’ensemble des nations au prochain Sommet du G20, afin de renforcer la lutte contre le braconnage, un fléau pour l’Afrique du Sud. La Chine a réagi très positivement, et nous espérons pouvoir faire une annonce conjointe.
Nos relations avec la Chine sont excellentes. Nous coopérons étroitement au sein des groupes BRICS et BASIC, notamment sur le changement climatique. Nous partageons des objectifs communs, et je suis confiant que nos partenaires chinois nous soutiendront dans ce combat crucial. À ce jour, les échanges sont très prometteurs.
Les filets bongo et les bouteilles Niskin devant être immergés dans l’océan pour collecter des échantillons. (NI YANSHUO)
Que pensez-vous de la coopération en matière de recherche polaire, sachant que la Chine possède également cinq stations de recherche scientifique en Antarctique ?
La Chine a en effet établi plusieurs stations de recherche en Antarctique, et je suis très désireux d’explorer les opportunités de collaboration. Je n’ai visité aucune de vos stations, mais je prévois de me rendre en Antarctique plus tard cette année.
À l’ouverture de la saison estivale, nous pourrions organiser un échange : je visiterais l’une de vos stations, et vous seriez les bienvenus dans notre base. La Chine mène des recherches remarquables en Antarctique, et je suis convaincu que nous pourrions coopérer efficacement sur la collecte de données et les travaux scientifiques, d’autant que notre base est occupée toute l’année.
Je suis très enthousiaste quant à cette perspective.
Le Sommet du G20 se tiendra en novembre en Afrique du Sud. C’est la première fois qu’il aura lieu sur le continent africain. Quelles sont vos attentes quant aux résultats de ce sommet ?
Nous avons défini plusieurs objectifs clés pour ce sommet, en particulier autour de la solidarité et de l’inclusivité. Il est essentiel d’en tirer des résultats concrets. L’une de nos principales préoccupations est le coût de l’emprunt. En tant que pays en développement, nous consacrons une part importante de nos ressources au service de la dette, un risque majeur.
Actuellement, les paiements d’intérêts atteignent 1,2 milliard de rands (67 millions de dollars) par jour. Un soutien permettant d’alléger cette charge, présente et future, desserrerait l’étau sur nos finances publiques.
C’est aussi pourquoi nous explorons des solutions innovantes, telles que les marchés du carbone, pour compenser une partie de cette pression financière. Des intérêts toujours plus élevés freinent inévitablement notre développement.
Dans mon ministère, nous agissons sur plusieurs fronts, notamment au sein du Groupe de travail du G20 sur l’environnement et le climat durable, que je préside. Nos priorités couvrent les océans et les zones côtières, la gestion des déchets, la biodiversité, le changement climatique, la sécurité de l’eau et la durabilité.
Le S.A. Agulhas II arrive au port du Cap. (NI YANSHUO)
Le G20 est un mécanisme multilatéral important, et l’Afrique du Sud y joue un rôle clé durant sa présidence. Toutefois, les États-Unis semblent moins engagés cette année et ont réduit, voire suspendu, certains projets de coopération avec l’Afrique du Sud. Quel impact cela a-t-il eu sur votre ministère ? Et quelles sont vos attentes pour l’avenir de la coopération avec la Chine, au sein du G20 et des BRICS ?
Nous avons effectivement perdu certains financements américains. Par exemple, Peace Parks a vu ses subventions supprimées, mais un appui de SANParks, les parcs nationaux sud-africains, a permis de maintenir ses activités. Nous avons également perdu l’ensemble du financement de notre Fusion Centre, principal outil de collecte de renseignements.
La Chine nous a alors proposé, avec bienveillance, son soutien. Nous avons pu faire face à la situation et avons été sincèrement reconnaissants de ce geste d’amitié. Dans l’adversité, la Chine nous a dit : « Nous voulons vous aider, car nous comprenons vos difficultés. »
Par ailleurs, lors d’un échange avec le Président Donald Trump, le Président Cyril Ramaphosa l’a encouragé à assister au Sommet du G20. Nous ignorons encore s’il fera le déplacement, mais ce serait un signe positif alors que les États-Unis assureront la présidence du G20 de 2026.
Quoi qu’il en soit, nous poursuivons nos préparatifs sans conditionner nos actions à cette participation. Leur présence serait la bienvenue, mais nous avançons avec nos priorités.
L’essentiel, pour nous, est que nous sommes très fiers d’accueillir ce sommet. C’est une première sur le sol africain, et une première pour l’Afrique du Sud. Nous sommes fièrement un pays du Sud global, une économie en développement. Nous poursuivons notre chemin avec l’ensemble de nos partenaires. Nous sommes non-alignés, et nous refusons que l’on nous dicte avec qui nous pouvons ou non entretenir des relations. C’est un point essentiel pour nous et pour notre souveraineté.
Reportage d’Afrique du Sud
![]() |