Cette rubrique aborde un sujet à travers des perspectives chinoise et africaine. Ce mois-ci, nous explorons comment apprivoiser l’influence grandissante des vidéos courtes. 

Échapper à l’emprise des algorithmes 

YAO QIUXIN 

Traductrice chinoise de 32 ans, à Beijing 

Je n’éprouve guère de plaisir à faire défiler machinalement des vidéos courtes. En revanche, je suis toujours en quête de contenus qui m’apportent un savoir nouveau, une information utile. Récemment, lorsque RedNote, mon application habituelle, a été envahie par une vague de « réfugiés de TikTok », j’y ai découvert, à ma grande surprise, un flot de vidéos de haute qualité valorisant la richesse de la culture traditionnelle chinoise et la beauté de ses paysages. Certaines rivalisent, tant par leur esthétique soignée que par leurs techniques de prise de vue innovantes, avec les productions de la CCTV, la chaîne nationale. En quelques secondes, elles capturent l’immensité des paysages ou les détails raffinés des costumes anciens. Les commentaires, venus du monde entier, témoignent de leur attrait universel. C’est ce type de contenu que je recherche et que j’apprécie. 

Au quotidien, j’évite les vidéos purement divertissantes, qui font perdre du temps sans rien offrir. Il m’arrive d’en regarder quelques-unes, mais rarement plus de deux ou trois avant de quitter l’application. Leur superficialité, leur côté répétitif et cette manière de piéger l’utilisateur dans une boucle passive me rebutent. Les algorithmes renforcent nos habitudes, jusqu’à créer un « cocon informationnel ». Lors d’un voyage, j’en ai fait l’amère expérience : tout le monde suivait les mêmes guides, fréquentait les mêmes restaurants, prenait les mêmes clichés. J’ai eu l’impression de jouer un rôle de PNJ dans un jeu de consommation, où la spontanéité avait disparu au profit d’un scénario préfabriqué. 

J’utilise ces applications comme moteurs de recherche : tutoriels photo, idées de tenues, modèles de tricot, recettes… Pour une génération née à l’ère de l’explosion informationnelle, les vidéos courtes sont un format légitime. Je m’émerveille parfois de la facilité d’accès au savoir. Si j’avais eu toutes ces ressources à l’école, j’aurais sans doute mieux utilisé mon temps libre. Mais cette profusion devient parfois pesante, occupant nos journées et grignotant nos nuits. Dans ce monde saturé, il nous faut aussi du recul, loin des écrans, pour retrouver nos proches et des plaisirs simples. 

Un usage excessif peut être dangereux 

GETAHUN ASSEFA TESSEMA 

Journaliste, producteur et animateur de télévision de 34 ans, en Éthiopie 

Il faut bien le reconnaître : les vidéos courtes bouleversent notre façon de consommer les contenus. Une minute, on défile pour passer le temps ; la suivante, on apprend une astuce, on découvre un regard nouveau, ou l’on se laisse happer par une histoire qui nous marque. Leur force réside dans leur rapidité, leur impact visuel, leur pouvoir d’attraction… mais cette vitesse est aussi leur plus grande faiblesse. 

Leur atout majeur, c’est l’accessibilité. Des idées jadis réservées aux livres ou à de longs tutoriels sont désormais condensées en quelques secondes. L’apprentissage devient ludique, la créativité une scène ouverte, les cultures lointaines des univers familiers. Pour les créateurs, c’est une tribune mondiale, une chance d’exister, de se faire entendre. Diversité, originalité et innovation s’y épanouissent avec brio. 

Mais cette facilité a un revers. Nos capacités d’attention s’effilochent à mesure que l’on saute d’un clip à l’autre. La réflexion cède le pas à la réaction immédiate, et la connaissance reste souvent en surface. La frontière entre information et distraction s’estompe, et plus on défile, moins on s’attarde. Ces vidéos savent capter notre regard, mais elles le morcellent, au risque de nous laisser informés, oui… mais superficiellement. 

Je les trouve à la fois inspirantes et pernicieuses. À travers elles, je promeus la modernisation de la Chine, je cherche à tisser des liens entre les peuples, de façon créative et engageante, et les résultats sont là. Pourtant, j’ai remarqué que beaucoup ne retiennent qu’un aperçu, sans chercher à approfondir les idées que je développe dans des formats plus longs. C’est une illustration frappante du pouvoir hypnotique du défilement infini : les minutes s’évanouissent sans laisser de véritable empreinte. Voilà le danger. 

Au fond, les vidéos courtes sont devenues le battement de cœur des médias contemporains : vives, omniprésentes, percutantes. Elles ont un potentiel immense pour éduquer, relier, stimuler la créativité, à condition de les utiliser avec lucidité. Consommées en conscience, elles peuvent devenir des outils d’apprentissage, de réflexion, de connexion authentique. Mais si nous les subissons, elles risquent de ne nous laisser que le goût du divertissement… sans la substance. Le choix, comme toujours, nous appartient.