2025-07-15 |
Une jeunesse en culture |
VOL. 17 / JUILLET 2025 par LI XIAOYU · 2025-07-15 |
Mots-clés: coopération agricole ; Tanzanie |
De la rizière à l’élevage de volailles, une nouvelle génération de jeunes Tanzaniens cultive son rêve d’entrepreneuriat agricole avec l’aide de mentors chinois.
Jamali Ngwali Makame (premier à droite), Abdilahi Khamis Ussi (premier à gauche), Wahida Athumani Hamadi (troisième à droite) et Iknut Said Mussa (deuxième à droite) posent avec la professeure Xu Jin (troisième à gauche) à Zanzibar, en Tanzanie, fin janvier. (COURTOISIE)
Aux premières lueurs du jour, une brise légère caresse les rizières dorées de l’île de Zanzibar, en Tanzanie. C’est là que Jamali Ngwali Makame contemple, les yeux brillants d’espoir, les épis mûrissants de sa parcelle de riz. Non loin de là, dans sa cour arrière, Abdilahi Khamis Ussi nourrit ses poulets de chair tout en affinant ses plans d’agrandissement. Wahida Athumani Hamadi, quant à elle, veille sur son potager expérimental irrigué au goutte-à-goutte, en pleine négociation avec des hôtels locaux pour la fourniture de légumes. Et dans un champ de pastèques prêtes à être cueillies, Iknut Said Mussa s’active, impatiente de voir fructifier son labeur.
Ces parcours, aussi variés qu’inspirants, ont un dénominateur commun : l’accompagnement pédagogique et technique de professeurs de l’Université d’agriculture de Chine (CAU).
En novembre 2024, ces quatre jeunes entrepreneurs se sont rendus en Chine dans le cadre de la première session de l’initiative CAU-Tencent pour les jeunes entrepreneurs ruraux africains. Au programme : valorisation des produits agricoles, stratégies de tourisme rural, agriculture numérique, construction de marques, entre autres. Encadré par des enseignants de la CAU, chacun d’eux a élaboré un plan d’affaires concret, en prise directe avec les réalités locales.
Début 2025, deux professeurs, Xu Jin et Huang Zhenqian, leur ont rendu visite à Zanzibar pour assurer un accompagnement sur le terrain et les aider à concrétiser leurs projets. Ce suivi personnalisé donne chair aux savoirs acquis et les traduit en actions mesurables.
Un rêve parfumé au cœur des rizières
Le parcours de M. Makame commence dans une rizière d’un acre, où il cultive une variété à haut rendement : le SUPA BC. Si la récolte s’annonce prometteuse, les obstacles sont bien réels. L’accès à un canal d’irrigation voisin est coûteux, les semences de qualité onéreuses, et sans accès au crédit, il puise dans ses maigres économies. À cela s’ajoutent des frais de main-d’œuvre particulièrement élevés en période de moisson.
Guidé par les mentors de la CAU, M. Makame s’associe à d’autres agriculteurs pour mutualiser les frais d’irrigation. Il se familiarise avec les subventions agricoles et explore les coopératives de financement. Les professeurs l’aident à optimiser ses techniques culturales pour augmenter ses rendements tout en réduisant ses coûts. « Tant que je persévère, mes rizières s’agrandiront et mon rêve de riz parfumé deviendra réalité », affirme-t-il.
Vers un élevage avicole moderne
M. Ussi a démarré avec quelques volailles dans la cour de son oncle. Aujourd’hui, il gère un élevage de 1 000 poulets répartis sur deux cycles, tout en occupant un poste dans une entreprise locale d’épices. Diplômé en agriculture de l’Université d’État de Zanzibar, il prend en charge seul toutes les étapes de son activité : alimentation, hygiène, vaccination.
Mais ses ambitions vont bien au-delà. Il envisage de porter son élevage à 1 200 têtes et d’investir dans un système automatisé d’alimentation et d’abreuvement. Formé en Israël à la production de farines à base de mouches soldats noires (Black Soldier Fly), il projette de produire localement cet aliment à bas coût.
Son mentor, Zhang Yue, l’aide à calculer les économies potentielles et à identifier les bons fournisseurs. « La gestion du temps est l’un des acquis les plus précieux de ma formation : elle permet d’être plus productif et de mieux équilibrer les tâches quotidiennes », explique-t-il. Avec l’encouragement de Mme Zhang, il commence à créer un réseau coopératif local autour de l’élevage avicole pour partager savoir-faire et débouchés. « Nouer des partenariats solides est essentiel pour la pérennité de l’activité », ajoute-t-il.
Le professeur Huang Zhenqian conseille Wahida Athumani Hamadi sur le terrain, à Zanzibar, en Tanzanie, fin janvier. (COURTOISIE)
Innovation par l’agriculture sous contrat
Mme Hamadi expérimente avec succès un modèle d’agriculture sous contrat. Elle exploite deux parcelles : l’une, plus vaste, dédiée à la production de tomates pour le marché local ; l’autre, un quart d’acre, réservée à des produits haut de gamme destinés aux hôtels et supermarchés.
Lors de sa formation en Chine, elle a appris les techniques d’irrigation au goutte-à-goutte, la rotation culturale et les normes de qualité. De retour chez elle, elle adapte ces méthodes à un environnement difficile, marqué par la chaleur, les coupures d’électricité et le manque d’eau. Elle améliore son système d’irrigation, introduit la lutte biologique contre les parasites et diversifie ses cultures.
Sous la supervision du professeur Huang, elle affine son approche en identifiant les besoins spécifiques des clients, à qui elle propose des contrats de précommande. Ceux-ci peuvent visiter sa parcelle de démonstration, inspecter les cultures et choisir les produits qu’ils souhaitent recevoir. Le professeur lui recommande d’échelonner les semis tout en synchronisant les récoltes, de manière à présenter simultanément une variété de produits, une stratégie efficace pour accélérer les décisions d’achat.
En janvier dernier, elle a reçu de nouveaux conseils sur la réduction des coûts d’irrigation, la spécialisation des cultures et l’amélioration de la communication client. Son projet, encore jeune, suscite déjà l’intérêt des professionnels. « Elle a une vision claire et sait passer à l’action. Nous continuerons à l’accompagner », affirme le professeur Huang à CHINAFRIQUE.
Cultiver l’avenir avec des pastèques
Toujours active dans le tourisme, Mme Mussa a élargi son horizon en s’engageant aussi dans l’agriculture après avoir suivi la formation de la CAU. De retour en 2024, elle plante une acre de pastèques dans une zone périphérique de Zanzibar. Sa première récolte, début 2025, est prometteuse : une pastèque peut se vendre jusqu’à 3 000 shillings (1,14 dollar).
Mais les défis persistent : l’irrégularité de l’électricité complique l’irrigation, la chaleur est accablante, et le coût de la main-d’œuvre dissuasif. Travaillant encore dans le tourisme, elle ne cultive qu’aux premières heures ou en soirée, hésitant à embaucher.
Elle entame des partenariats avec des hôtels et des grossistes, et utilise cette première saison pour affiner sa stratégie de gestion des coûts. Les mentors de la CAU l’aident à structurer ses canaux de vente et à planifier ses cultures pour maximiser ses revenus.
Aujourd’hui, les échanges sur WhatsApp entre mentors chinois et jeunes Tanzaniens se multiplient. Ces messages, franchissant les fuseaux horaires, témoignent d’une réalité nouvelle : la coopération agricole n’est plus descendante, elle est devenue un partenariat d’égal à égal, fondé sur le transfert de compétences, l’adaptation locale et le progrès partagé.
Lorsque les expériences de Mme Hamadi inspirent les fermiers voisins, ou que les ateliers de M. Ussi attirent les curieux, c’est toute une génération d’agriculteurs africains qui se met en mouvement, connectée, compétente, résolument tournée vers l’avenir. Sur la terre fertile de Zanzibar, l’expérience chinoise en développement rural s’enracine pour de bon. Chaque semence plantée, chaque poulet élevé, chaque fruit récolté devient le symbole d’un avenir bâti sur l’innovation, l’entrepreneuriat et la coopération internationale.
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