Comment un jeune entrepreneur ougandais apporte la technologie chinoise aux champs africains ? 

La professeure Xu Jin et Mwesigwa Samuel lors d’une étude de terrain au Yunnan, en novembre 2024. (COURTOISIE) 

Sous le soleil ardent du district de Kamuli, dans l’est de l’Ouganda, un groupe de jeunes agriculteurs se rassemble autour d’une parcelle de terre rouge fraîchement retournée. Les caméras tournent tandis que la première vice‑Première ministre, Rt. Hon. Rebecca Kadaga, rejoint les jeunes pour planter les premiers piments sur une ferme expérimentale de quatre hectares. La scène, retransmise en direct dans l’émission agricole nationale Kungula, marque non seulement le lancement d’un projet d’agriculture numérique piloté par AMPA Media, mais symbolise aussi l’ambition croissante du continent de conjuguer tradition et innovation. 

Au cœur de cette dynamique se trouve Mwesigwa Samuel, un jeune entrepreneur des médias dont le parcours tisse un lien singulier entre la Chine et l’Afrique. Ancien producteur de télévision et mobilisateur communautaire en Ouganda, M. Samuel a vu sa trajectoire prendre un tournant décisif lorsqu’il a été sélectionné pour participer à l’initiative pour les jeunes entrepreneurs ruraux africains, un programme conjointement lancé par l’Université d’agriculture de Chine (CAU) et le géant technologique chinois Tencent. Son objectif : former de jeunes innovateurs africains aux outils numériques et à l’esprit d’entreprise, à la lumière de l’expérience chinoise en matière de revitalisation rurale. 

Mwesigwa Samuel (deuxième à gauche) consulte la professeure Xu Jin (deuxième à droite) lors d’une étude de terrain au Yunnan, en novembre 2024. (COURTOISIE) 

Une leçon de transformation numérique 

Fin 2024, M. Samuel se rend dans les pôles d’innovation de Shenzhen, au Guangdong, et dans les campagnes verdoyantes du Yunnan, où il suit une formation dirigée par la professeure Xu Jin, de la CAU. « La professeure Xu nous a montré comment les villages chinois utilisent le live streaming, les drones et les capteurs de données pour relier directement les agriculteurs aux marchés », raconte-t-il. « C’était fascinant. Je voulais ramener cette énergie en Ouganda pour former les jeunes à des outils numériques capables de transformer notre manière de cultiver. » 

Au fil de son immersion en Chine, M. Samuel apprend les bases de la diffusion en direct, et de la création de contenus numériques, ainsi que l’intégration de capteurs et de l’analyse de données dans la production agricole. Il insiste sur le fait qu’il ne s’agissait pas de reproduire un modèle, mais d’en adapter les principes à la réalité africaine. 

« La professeure Xu m’a conseillé de commencer petit et de tirer parti des ressources locales », confie M. Samuel à CHINAFRIQUE. « C’est cette philosophie qui a guidé la création d’AMPA Media. » 

Mwesigwa Samuel (troisième à gauche) en visite au siège de Tencent, à Shenzhen, province du Guangdong, en novembre 2024. (COURTOISIE) 

Un réseau numérique au service de l’agriculture 

De retour en Ouganda, M. Samuel fonde AMPA Media, une entreprise dédiée à la diffusion du savoir agricole par les outils numériques et à la promotion de l’entrepreneuriat rural. Sa première initiative consiste à créer une ferme pilote de piments équipée de capteurs de sol mis au point par Tencent. Ces capteurs mesurent l’humidité, la température et les nutriments, permettant aux cultivateurs de mieux gérer leurs parcelles et d’optimiser leurs rendements. 

Grâce à sa collaboration avec Kungula, AMPA lance un réseau hybride mêlant télévision, réseaux sociaux et ateliers communautaires. En quelques mois, de nombreux jeunes entrepreneurs se forment aux techniques de l’agriculture de précision, au marketing en ligne et à la gestion agro-industrielle. 

« La demande des jeunes et des communautés ne cesse de croître », souligne M. Samuel. « Avec la ferme de démonstration et quelques outils numériques de base, nous prévoyons d’atteindre plus de 10 000 jeunes d’ici la fin de l’année. » 

Mais les ambitions d’AMPA vont bien au-delà de la diffusion télévisée. L’entreprise développe aujourd’hui une plateforme multimédia intégrant télévision, presse écrite, radio et canaux en ligne, afin de combler le fossé informationnel dans les zones rurales. En partenariat avec les autorités locales, M. Samuel prévoit également d’introduire la cartographie par drone et le marketing numérique dans 12 établissements scolaires, pour former un réseau d’« ambassadeurs verts » capables de diffuser ces nouvelles pratiques agricoles. 

De la vision à l’impact 

En juin 2025, AMPA Media obtient son enregistrement officiel : une étape cruciale qui consacre la reconnaissance institutionnelle et la maturité de la vision portée par M. Samuel. Pour la professeure Xu, c’est une fierté : « Je lui ai conseillé de ne pas se précipiter. En s’appuyant sur les ressources existantes, comme les habitants, les médias locaux et l’enthousiasme communautaire, il pouvait bâtir quelque chose de durable. C’est exactement ce qu’il a fait. » 

En Ouganda, les champs de piments d’AMPA sont devenus de véritables classes à ciel ouvert. Les jeunes y tournent de courtes vidéos explicatives sur les techniques d’irrigation, pendant que les agriculteurs partagent leurs expériences sur les capteurs et l’analyse des sols. Diffusées à la télévision nationale et sur des plateformes numériques inspirées de WeChat, ces histoires redéfinissent la circulation du savoir agricole dans les zones reculées. 

Debout au bord des rangées de piments étincelants sous la lumière dorée de l’après-midi, M. Samuel repense au chemin parcouru, de stagiaire en Chine à pionnier du numérique sur le continent africain. Sa conviction, « L’Afrique a besoin de solutions africaines ; la technologie chinoise en est le catalyseur », résonne chez de nombreux entrepreneurs, qui perçoivent dans la transformation numérique un terrain d’échanges mutuels, plutôt qu’un simple transfert unilatéral.