2024-07-04 |
Aux champs de l'espoir |
VOL. 16 / JUILLET 2024 par DERRICK SILIMINA · 2024-07-04 |
Mots-clés: juncao ; Kenya |
L’herbe juncao, une invention chinoise, revitalise l’élevage kényan.
Des agriculteurs cultivent l’herbe juncao dans la banlieue de Bangui, capitale de la République centrafricaine, le 1er juin 2022. (XINHUA)
Dans sa ferme laitière située dans le comté de Kiambu, à la périphérie de la capitale Nairobi au Kenya, Newton Mwangi retire anxieusement ses bottes et sa combinaison après avoir trait ses vaches. Il est préoccupé par le fait que ses vaches ne parviennent pas à produire les 80 litres de lait nécessaires pour satisfaire quotidiennement ses clients, en raison d’une pénurie critique de fourrage au Kenya.
Comme beaucoup d’autres éleveurs, M. Mwangi lutte pour se procurer suffisamment de fourrage pour nourrir ses animaux afin de maintenir sa production laitière. « La sécheresse entrave la croissance de l’herbe, ce qui réduit la disponibilité du fourrage. En conséquence, mes animaux n’ont pas assez de nourriture pour produire les 150 litres de lait frais que j’obtenais il y a quelques années, quand les pâturages étaient abondants », explique M. Mwangi à CHINAFRIQUE.
M. Mwangi, âgé de 48 ans, constate que la pénurie a fait monter en flèche les coûts du fourrage, rendant ainsi plus difficile la tâche de nourrir correctement ses 20 vaches laitières chaque jour. « J’ai urgemment besoin d’une solution alternative pour nourrir mes vaches, faute de quoi je risque de les perdre », se lamente-t-il, ajoutant que, face aux menaces du changement climatique sur les vies humaines et animales, de nombreux éleveurs peinent à maintenir leurs troupeaux.
Le Département d’État pour l’élevage, rattaché au ministère kényan de l’Agriculture et du Développement de l’élevage, rapporte que le Kenya a besoin de 55 millions de tonnes de nourriture animale par an, mais ne parvient à en produire que 40 %, avec plus de 40 % de pertes dues à une mauvaise gestion post-récolte.
Heureusement, l’entrepreneur chinois Jack Liu, PDG de Crevation International, s’est donné pour mission de résoudre la pénurie de fourrage et est déterminé à améliorer les rendements laitiers des producteurs kényans. « La gravité de cette pénurie m’a motivé à me spécialiser dans l’alimentation animale. La récente vague de sécheresse a frappé principalement les régions arides et semi-arides, où de nombreux éleveurs ont vu leur bétail périr », confie M. Liu.
L’herbe magique
En 2021, après avoir constaté que les agriculteurs rencontraient des difficultés à fournir à leur bétail de l’herbe de qualité, M. Liu a introduit l’herbe juncao au Kenya. Couramment appelée « herbe magique chinoise » dans sa ferme ultramoderne près de Kitengela, située à 34 km au sud de Nairobi, l’herbe juncao prospère dans diverses régions, y compris les zones arides et semi-arides, à condition que l’irrigation soit assurée, explique M. Liu.
Il révèle que juncao, qui signifie « herbe aux champignons » en chinois, a été développée par le scientifique chinois Lin Zhanxi après 30 ans de recherche. Cette herbe verte luxuriante, haute et succulente, riche en protéines, est essentielle pour stimuler la production laitière. Elle a rapidement gagné en popularité parmi les producteurs laitiers kényans, permettant aux éleveurs locaux de maintenir l’approvisionnement en lait frais pour les centres commerciaux locaux, préservant ainsi leurs revenus.
Edwin Wekesa, directeur de la ferme de M. Liu à Kambi Ya Moto, dans le comté de Nakuru, a récemment indiqué que les vaches et les chèvres qui la consomment produisent davantage de lait. « Cette herbe est sans parasites, durable et fiable. Elle peut prévenir la désertification et résister au changement climatique », ajoute M. Wekesa.
Les producteurs laitiers locaux se rendent quotidiennement à la ferme de M. Liu pour apprendre à cultiver cette herbe révolutionnaire afin d’améliorer leur productivité. Boyd Kamau, un éleveur local, compare l’herbe chinoise à l’herbe à éléphant locale, notant qu’elle est plus nutritive, avec des feuilles plus tendres. « Sur ma ferme, nous transformons également le fourrage vert en ensilage, qui peut être conservé jusqu’à trois ans », explique M. Kamau, soulignant aussi l’accessibilité économique des plants de juncao.
Cultivée dans plus de 100 pays et gagnant du terrain en Afrique, l’herbe juncao, avec ses larges feuilles et tiges riches en sucre, peut produire environ 445 tonnes par hectare par an. Elle atteint sa maturité en 12 semaines et peut être récoltée jusqu’à cinq fois par an.
Depuis son introduction en 2021, l’herbe juncao a révolutionné l’élevage dans les zones semi-arides du Kenya, garantissant un approvisionnement continu en fourrage nutritif aux éleveurs et agriculteurs. Melody Kimani, une productrice laitière, témoigne de l’impact positif de l’herbe sur son élevage après un an de culture sur 0,4 hectare de ses terres : « J’ai constaté que mon bétail gagnait jusqu’à 1 kg par jour. Cela a nettement augmenté la production laitière, car l’herbe juncao s’est avérée bien plus nutritive que les pâturages traditionnels. »
Lin Zhanxi (à gauche) explique la technologie juncao à des étudiants étrangers à Fuzhou, dans la province du Fujian, le 23 novembre 2021. (XINHUA)
Des rendements plus élevés
Les experts en fourrage affirment que l’herbe juncao contient 18 % de protéines brutes. Enrichie en micro-
éléments, elle convient également à l’alimentation des poulets, des poissons, des chèvres et des porcs.
Dans ce contexte, le Kenya, l’Ouganda et la Somalie figurent parmi les six pays participant à un programme pilote visant à pallier la pénurie persistante de matières premières. Ce programme, intitulé Resilient African Feed and Forage Systems, vise à améliorer l’efficacité de la production animale et, par extension, la nutrition humaine.
Concernant les craintes exprimées par certains scientifiques locaux sur les effets potentiels de l’introduction de l’herbe juncao sur la biodiversité, le Kenya Plant Health Inspectorate Service (KEPHIS) a indiqué, après des inspections et des audits approfondis dans une installation de quarantaine du sud-est du Kenya, que l’herbe répond à toutes les normes phytosanitaires requises. « Le suivi continu de l’herbe juncao par le régulateur n’a révélé aucune menace pour la santé humaine ou l’environnement », confirme Erick Were, inspecteur chez KEPHIS.
Lorsqu’elle est utilisée pour nourrir les vaches laitières, l’herbe juncao peut augmenter la production de lait de 40 %, tandis que les bovins de boucherie peuvent atteindre un poids de 500 kg en 12 mois.
Face aux défis posés par le changement climatique et la sécheresse affectant certaines régions du pays, l’herbe juncao s’est avérée être une ressource précieuse pour les éleveurs kényans tels que M. Mwangi. « J’ai hâte de voir mes plants de juncao grandir et je m’engage à bien nourrir mes animaux pour améliorer ma production laitière et répondre à la demande locale en lait frais », partage-t-il, optimiste quant à l’avenir de son exploitation.
Reportage du Kenya
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