2025-05-06 |
Au pays des champs suspendus |
VOL. 17 / MAI 2025 par XIA YUANYUAN · 2025-05-06 |
Mots-clés: revitalisation rurale ; élimination de la pauvreté |
Les agriculteurs de Nujiang utilisent une technologie innovante de culture du riz en zone aride pour augmenter leurs revenus.
Récolte du riz dans les rizières arides du village de Ziji, à Lushui, dans la préfecture autonome Lisu de Nujiang, province du Yunnan, le 24 septembre 2024. (XINHUA)
Alors qu’avril annonce le renouveau du printemps, une brume légère s’attarde dans les vallées profondes du grand canyon de Nujiang, niché dans la province du Yunnan, au sud-ouest de la Chine. Sur les hauteurs d’une montagne à plus de 1 300 mètres d’altitude, dans le village de Ziji, rattaché à Lushui, au cœur de la préfecture autonome Lisu de Nujiang, Cha Wenxing, un villageois lisu de 62 ans, plante du riz. Les parcelles de démonstration qu’il cultive, dédiées à un riz de montagne de qualité supérieure, semblent suspendues dans les nuages.
Agriculteur de toujours, M. Cha n’aurait jamais cru possible que le riz puisse pousser sur une terre aussi aride. Pourtant, grâce aux recherches de Zhu Youyong, académicien de l’Académie chinoise d’ingénierie, et aux efforts de son équipe, de plus en plus d’habitants du canyon comme lui parviennent à transformer ces « champs dépendants du ciel » en rizières fertiles, et à savourer sur leurs propres terres un riz au parfum délicat.
En quête de sécurité alimentaire
Les montagnes escarpées et les gorges profondes couvrent plus de 98 % du territoire de la préfecture autonome Lisu de Nujiang, nichée au cœur des monts Hengduan, dans le nord-ouest du Yunnan. La pente vertigineuse des terrains, la faible épaisseur de la couche arable et le manque criant d’irrigation représentent autant d’obstacles majeurs à l’agriculture.
Pendant des siècles, les Lisu, les Nu et d’autres groupes ethniques autochtones ont survécu en cultivant des espèces résistantes comme le maïs ou la pomme de terre. Les rendements céréaliers restaient faibles et irréguliers, entièrement tributaires des précipitations. Pour beaucoup, s’assurer des réserves suffisantes, en particulier de riz, relevait d’un défi permanent, tant et si bien que ce dernier restait un luxe rarement accessible.
Les variétés traditionnelles de riz de montagne, bien que plus adaptées aux conditions sèches, ne permettaient guère d’obtenir plus de 150 kg par mu (2 250 kg par hectare), bien en deçà du seuil de subsistance. Il devenait donc indispensable de trouver des solutions pour accroître les rendements sur ces terres pauvres, pentues et limitées. C’est dans ce contexte que l’équipe dirigée par l’académicien Zhu a mobilisé son savoir scientifique pour relever ce défi.
Après plus de dix ans de recherches et d’essais, elle est parvenue à mettre au point une technologie de culture du riz pluvial qui a révolutionné la production céréalière dans la région.
Bousculer les traditions
Faire pousser du riz sur des terres arides ? L’idée a d’abord suscité l’incrédulité des agriculteurs de Nujiang lorsque le projet « riz sur la montagne » a été présenté. Dans leur esprit, la culture du riz ne pouvait se concevoir qu’en rizière, avec une irrigation abondante. L’imaginer sur des pentes sèches paraissait tout simplement inconcevable.
La technologie développée par l’équipe de M. Zhu repose sur des variétés hybrides, comme Dianheyou 615 ou 918, résistantes à la sécheresse et capables de se nourrir presque exclusivement des précipitations naturelles. Semées directement sur les pentes autrefois réservées à des cultures sèches, ces variétés permettent d’éviter les étapes lourdes comme le trempage des champs ou le repiquage. Même en période critique, une simple dose d’« eau vitale » suffit en cas de sécheresse extrême.
Cependant, les débuts ont été difficiles. Certains craignaient que cette approche ne provoque la déforestation, menaçant un écosystème déjà fragile.
M. Zhu a tenu à rassurer : « Notre initiative n’implique ni défrichement, ni transformation des collines arides en rizières, ni pompage depuis l’amont. Nous utilisons des terres déjà cultivées, autrefois réservées au maïs ou à la pomme de terre. L’essentiel est d’adapter le riz à la montagne grâce à la science, et non l’inverse. »
Pour vaincre le scepticisme, son équipe a mis en place des parcelles de démonstration et travaillé étroitement avec les agriculteurs. Le soutien des autorités a également joué un rôle clé. Peu à peu, la méfiance a laissé place à la curiosité, puis à une adoption enthousiaste.
Un changement de vie
Les effets positifs de la culture du riz pluvial de haute qualité se font sentir dans toute la région de Nujiang. Su Luyi, du village de Daliandi à Lushui, a été l’un des premiers à adopter cette technologie. Autrefois, ses pentes ne produisaient que du maïs, avec un rendement de quelques centaines de kilos par mu (0,067 hectare), vendu à 3 yuans (0,41 dollar) le kilo. Aujourd’hui, il récolte entre 350 et 500 kilos de riz pluvial par mu (5 200 à 7 500 kg par hectare), vendus 6 yuans (0,82 dollar) le kilo. « Le calcul est simple : le riz est bien plus rentable », affirme-t-il.
Encouragés par ces résultats, des agriculteurs ont fondé des coopératives spécialisées. Ils louent des terres dans les zones montagneuses de bourgs comme Shangjiang et Daxingdi pour cultiver le riz de montagne à plus grande échelle, créant ainsi de nouveaux leviers pour la hausse des revenus et le développement rural. Cette dynamique se reflète dans les chiffres officiels. En 2022, les cultures de démonstration couvraient à peine 16,9 mu (1,13 hectare). Au printemps 2024, la superficie atteignait déjà 14 372,5 mu (958 hectares).
Ce bouleversement agricole illustre la puissance de l’innovation scientifique lorsqu’elle sert un objectif concret : garantir la sécurité alimentaire et ouvrir de nouvelles perspectives économiques, même dans les zones les plus escarpées.
Reportage de la préfecture autonome Lisu de Nujiang
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