Des PDG de village à la manœuvre pour dynamiser les revenus dans la préfecture autonome Lisu de Nujiang. 

Li Jing (à droite), PDG de village, appose le cachet local sur des cartes postales. (HOU YUFENG) 

Afin de faire progresser la revitalisation rurale, la préfecture autonome Lisu de Nujiang a introduit ces dernières années le modèle de « PDG de village », dans le cadre d’une stratégie d’intégration entre agriculture, culture et tourisme. Ce modèle novateur est rapidement devenu un levier essentiel pour remédier à la pénurie de talents en zone rurale et impulser une dynamique de développement régional. 

Comme nombre de régions historiquement défavorisées, Nujiang se heurte de longue date à des défis structurels majeurs : écosystème fragile, infrastructures limitées et tissu industriel peu diversifié. Pourtant, ces territoires disposent d’atouts singuliers, en particulier des ressources écologiques et culturelles d’une grande richesse. 

Au printemps 2021, dans le but de favoriser une revitalisation rurale efficace, le gouvernement préfectoral de Nujiang a uni ses efforts à ceux de l’Université d’agriculture de Chine pour lancer un projet pilote d’intégration agriculture-culture-tourisme à l’échelle villageoise. Le village de Gutanhe, niché au pied des monts Gaoligong, en fut le terrain d’expérimentation. 

Les principales initiatives ont porté sur la réhabilitation des systèmes d’irrigation, la construction d’un complexe rural, ainsi que la reconversion d’habitations en entreprises culturelles et touristiques : chambres d’hôtes, restaurants, cafés. Une coopérative a été fondée pour porter ce renouveau, et le concept de « PDG de village » est né pour en devenir le pivot opérationnel, chargé de coordonner les ressources locales et de piloter le développement intégré des trois secteurs. En un peu plus d’un an, les résultats ont été si probants que le modèle a été rapidement étendu à 20 villages de la vallée du fleuve Nujiang. 

Qu’est-ce qu’un PDG de village ? 

Le PDG de village, ou « gestionnaire agricole », incarne une nouvelle génération d’acteurs du développement rural. Contrairement aux anciens projets conçus par les autorités et appliqués par des entreprises, celui de Gutanhe intègre trois groupes locaux dans une coopérative dédiée à l’agriculture et au tourisme. Ses membres élus participent aux décisions majeures avec fonctionnaires et experts, renforçant l’implication des habitants et la gouvernance locale. 

Après les travaux, une question clé s’est posée : qui gérerait les nouvelles activités ? En l’absence de professionnels attirés par ce secteur modeste et éloigné, la coopérative a confié la direction à un villageois instruit, membre du conseil. Premier PDG de village de Nujiang, il a dynamisé l’économie locale en mobilisant les ressources et en testant des modèles innovants. 

Contrairement aux experts centrés sur la production, les PDG de village privilégient la gestion. Formés localement ou venus d’ailleurs, ils introduisent des méthodes adaptées aux réalités du terrain. Ils jouent un rôle clé dans la transformation des villageois en acteurs à part entière du développement économique, les amenant peu à peu à devenir des partenaires plutôt que de simples producteurs. Cette évolution nourrit chez eux un sentiment plus fort d’appartenance et d’accomplissement, dynamisant ainsi la revitalisation rurale. 

Freins à lever 

Le modèle de PDG de village doit néanmoins surmonter plusieurs obstacles. Le premier est la rareté des talents : dans bien des cas, il est difficile de trouver des profils adaptés. Certains villages, comme Bingsheba, ont dû désigner leurs responsables administratifs comme PDG. Mais au-delà des compétences, c’est un véritable changement de mentalité qui s’impose. 

C’est dans cet esprit que l’Université d’agriculture de Chine, en partenariat avec Tencent, a mis en place un programme de formation structuré. Alternant cours théoriques, visites de terrain et échanges d’expériences, cette plateforme aide les talents locaux à acquérir des savoir-faire modernes tout en affinant leur compréhension des réalités locales. Elle leur permet d’adapter les stratégies de développement aux spécificités de chaque village, dans une optique de diversification économique. 

Deuxième défi : l’accès au marché. Les PDG de village, souvent dénués de réseaux commerciaux, doivent redoubler d’efforts pour attirer les touristes urbains et écouler les produits locaux. Les technologies numériques offrent ici des solutions nouvelles : la présence sur WeChat ou Douyin est devenue indispensable. Universités et autorités viennent également en appui, fournissant ressources et accompagnement pour lever progressivement les freins à la commercialisation. 

Enfin, la pérennité du modèle dépend de sa capacité à obtenir la reconnaissance des autorités et la confiance des villageois. Les revenus tirés du tourisme étant instables, le modèle est exposé à de nombreuses incertitudes. Il est donc crucial de renforcer le soutien institutionnel, de stabiliser les rémunérations et de mettre en place des mécanismes incitatifs pour permettre aux PDG de se consacrer pleinement à leurs missions. 

Un modèle exportable 

Le modèle de PDG de village offre une source d’inspiration précieuse pour nombre de pays en développement, en particulier sur le continent africain, où l’on retrouve des problématiques similaires : dépendance à l’agriculture traditionnelle, faiblesse de la gouvernance locale, manque de dynamisme économique. 

L’expérience de Nujiang montre que toute stratégie de revitalisation rurale doit s’ancrer dans le développement des talents locaux, en activant des mécanismes d’autonomisation capables de stimuler les forces endogènes. Ce modèle flexible et adaptable pourrait être transposé dans des contextes très variés. Par exemple, dans des zones rurales africaines riches en ressources agricoles mais peu structurées, des PDG de village pourraient initier des chaînes de valeur autour du maïs à haut rendement, de la transformation du soja, ou d’autres filières, contribuant ainsi à la modernisation agricole et à la diversification économique. 

Au-delà des activités économiques, ce modèle transforme en profondeur la gouvernance. En impliquant activement les habitants dans les décisions, il passe d’un développement fondé sur l’aide à un développement durable. 

HOU YUFENG est professeur associé à la faculté des études en sciences humaines et du développement de l’Université d’agriculture de Chine. 

LI XIAOYUN est doyen honoraire de la faculté de développement international et d’agriculture mondiale de l’Université d’agriculture de Chine.