2025-05-06 |
Un goût de succès |
VOL. 17 / MAI 2025 par MA LI · 2025-05-06 |
Mots-clés: revitalisation rurale ; élimination de la pauvreté |
Entre saveur locale et ambition nationale, montée en puissance d’un café chinois de caractère.
Récolte du café à Nujiang. (HE NINGQIAN)
En quittant le bourg de Liuku, dans la préfecture autonome Lisu de Nujiang (Yunnan), et en longeant les méandres du fleuve Nujiang vers le sud, il ne faut guère plus de 20 minutes en voiture pour atteindre le Parc industriel des épices de Nujiang. C’est là, au sein de la Société de biotechnologie Yunnan Nujiang Yun Coffee, que Zhao Qian, directeur général, savourait avec ses employés une victoire : la médaille « grains de café d’exceptionnelle qualité », décernée au Salon international de l’industrie du café de Kunshan 2024.
La région de Nujiang, dotée d’un terroir unique, est idéale pour la culture d’un café aux arômes subtils. Sur la rive ouest du fleuve, au pied des monts Gaoligong, s’étend la plus vaste zone de café de spécialité de Chine. Sur plus de 5 000 mu (333 hectares), des variétés réputées comme le Typica, le Bourbon ou le Geisha prospèrent entre 1 000 et 1 500 mètres d’altitude. D’après M. Zhao, un sol riche et un climat contrasté, marqué par de fortes amplitudes thermiques et l’alternance de saisons sèches et humides, créent des conditions idéales. Ce relief d’altitude fait de Nujiang un écrin pour le café.
Un marché en pleine effervescence
Il y a dix ans, M. Zhao n’était qu’un amateur éclairé. Une opportunité le pousse à explorer le potentiel du marché chinois, et il décide de revenir à Nujiang, terre de son grand-père, pour s’y consacrer pleinement. Il se forme d’abord à la culture des variétés, puis à la torréfaction.
Son retour coïncide avec l’essor de la consommation en Chine : en 2024, le secteur a généré 313,3 milliards de yuans (42,9 milliards de dollars), la consommation annuelle par habitant passant de 9 à 22 tasses depuis 2016.
Pour répondre à cette demande, M. Zhao aide les agriculteurs à cultiver des variétés plus rentables, pouvant atteindre 800 yuans (109,6 dollars) le kilo. Il forme deux dégustateurs certifiés Q-Grader et développe sa marque, Secret Canyon. Autrefois centrée sur la sous-traitance, son entreprise dispose désormais de la chaîne de production la plus avancée de l’ouest du Yunnan. Ses produits – grains, café lyophilisé, concentré, capsules – sont très recherchés sur le marché intérieur.
Une véritable filière café s’est mise en place dans la province, améliorant les conditions de vie locales. M. Zhao observe aussi l’émergence de nombreuses marques locales, inventives et abordables. « L’avenir du café chinois est prometteur, porté par l’innovation », affirme-t-il.
De Nujiang à Shanghai
Le succès du café de Nujiang repose sur la qualité des grains et un partenariat stratégique avec Shanghai. Faiblement caféiné mais riche en nutriments, ce café bénéficie d’un traitement post-récolte minutieux. À Nujiang, la Plantation de café Lishu produit environ 1 500 tonnes par an.
Grâce au soutien de la Nouvelle Zone de Pudong, la société Minlong a implanté à Shanghai une usine de traitement et de conditionnement, donnant naissance à une marque distribuée à l’échelle nationale, avec plus de 20 produits conçus avec les producteurs locaux. Résultat : des cafés aux notes florales, acidulées ou boisées, et des formats innovants, comme le café infusé à froid ou les filtres suspendus, séduisent un public croissant.
La plantation génère 20 millions de yuans (2,7 millions de dollars) par an et plus de 12 000 emplois. Le café supplante le maïs, bien moins rentable. « Avant, je gagnais 8 000 yuans (1 094 dollars) par an. Aujourd’hui, je peux atteindre 60 000 (8 205 dollars), même dans les mauvaises années je reste au-dessus de 30 000 (4 102 dollars) », témoigne Qiao Yinghua, agriculteur.
« Notre prochaine étape est de faire de la plantation un site pilote pour un réseau de café de mi-montagne dans les monts Gaoligong et renforcer notre présence sur le marché de Shanghai », indique Niu Ben, gestionnaire de la plantation.
Test en aveugle pour la certifcation Q-Grader, organisé par la Société de biotechnologie Yunnan Nujiang Yun Cofee. (COURTOISIE)
Former les talents de demain
En 2024, une nouvelle formation universitaire a vu le jour à l’Université d’agriculture du Yunnan : les étudiants y apprennent à torréfier et déguster du café dans un programme entièrement consacré à cette filière. Ajouté récemment au répertoire national des formations de premier cycle, le cursus de « Sciences et ingénierie du café » fait de l’établissement le premier en Chine à proposer une telle spécialisation.
Cette initiative répond aux besoins du secteur. Bien que la Chine soit l’un des principaux producteurs et consommateurs de café, elle manque encore de talents qualifiés. M. Zhao, qui a déjà recruté deux diplômés, souligne la pertinence de ce programme.
Le cursus couvre toute la chaîne de valeur : choix des variétés, torréfaction, transformation, gestion des cafés-restaurants et commerce international. Grâce aux partenariats avec les entreprises et aux plateformes d’innovation, les diplômés accèdent plus facilement au marché de l’emploi, comblant une lacune importante.
Yang Xuehu, doyen du département des cultures tropicales, se dit confiant : « La demande est forte, notamment au Yunnan. » En mars dernier, Nujiang a accueilli la Coupe des jeunes talents idéaux 2024, un tournoi de torréfaction de café Geisha qui a mis en lumière le savoir-faire local. M. Zhao espère que cette visibilité permettra au café de Nujiang de rayonner bien au-delà des frontières chinoises.
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