2025-10-09 |
Le temps long des forêts |
VOL. 17 / OCTOBRE 2025 par HU FAN et GE LIJUN · 2025-10-09 |
Mots-clés: Mongolie intérieure ; protection des forêts ; développement vert |
Pépinière de soutien au projet national de ceinture forestière des trois régions du Nord, dans la ferme forestière de Yakeshi, à Hulun Buir, région autonome de Mongolie intérieure, le 2 août. (PHOTOS : HU FAN)
Les monts Dahinggan, vastes et boisés, s’étendent comme une épine dorsale dans le nord-est de la région autonome de Mongolie intérieure. Jadis théâtre d’une lutte acharnée contre la déforestation, ils sont aujourd’hui le symbole d’un engagement profond en faveur de la préservation écologique. D’une génération à l’autre, les habitants ont su faire de la protection des ressources forestières un socle de développement durable, conciliant mémoire familiale, reconversion industrielle et nouvelles perspectives économiques. La région incarne ainsi l’application concrète du concept : « priorité à l’écologie et développement vert ».
Des générations de gardiens
Au nord-est de la bannière orientale d’Ujimqin, sur les pentes occidentales des monts Dahinggan, se dresse la ferme forestière nationale du mont Baogeda. L’une des plus vastes de la ligue de Xilin Gol, elle concentre les ressources forestières parmi les plus riches de la région et abrite la source de la rivière Ulagai, plus grand fleuve intérieur de Mongolie intérieure.
En 2011, un ambitieux projet de reboisement a été lancé pour restaurer les fonctions écologiques de cette zone sensible, notamment la préservation des ressources en eau. Plus de 340 000 mu (22 666 hectares) de forêts ont été plantés, une superficie qui dépasse désormais celle des forêts naturelles existantes. C’est comme si un nouveau Baogeda avait vu le jour.
À mesure que les forêts se densifient, la faune reprend ses droits. Bao Yongli, garde forestier depuis près de 40 ans, en témoigne : « Les chevreuils dévorent les jeunes pousses. Et il y a de plus en plus de lapins, de sangliers et même de loups. » Aujourd’hui âgé de 57 ans, celui que ses collègues surnomment affectueusement le « doyen » de la ferme a consacré toute sa vie à la protection de la forêt. Ancien bûcheron puis sylviculteur, il a endossé l’uniforme de garde forestier en 2006. Ses missions quotidiennes ? Prévenir les incendies, repérer les maladies, lutter contre les coupes illégales et sensibiliser la population.
Mais derrière la routine, se cachent parfois des épisodes périlleux. M. Bao a pris part à une dizaine d’opérations de lutte contre les incendies, dont une en 1987 qui lui a laissé de profondes blessures. Ses cicatrices, toujours visibles, racontent son engagement.
Son poste de surveillance est situé à la lisière entre forêt et steppe, près de la frontière sino‑mongole. Avant-poste stratégique, il constitue une barrière naturelle contre les incendies venus de l’extérieur. Grâce à l’arrivée de motos et d’équipements plus légers, les conditions de travail se sont améliorées, même si la plupart des patrouilles nécessitent encore de parcourir à pied plus de dix kilomètres en terrain escarpé. « Au début, c’était un peu solitaire », reconnaît-il. « Mais aujourd’hui, j’y ai trouvé un certain apaisement. Quand je suis fatigué, je m’allonge sur une pente ou contre un arbre, je bois l’eau de la source… C’est une joie simple. »
Sa plus grande fierté ? Voir la forêt reverdir et la vie renaître. Comme son père avant lui, venu en 1957 participer à la création de la ferme, M. Bao a fait de cette terre son destin. Ses deux fils, revenus après leurs études, ont rejoint l’équipe de lutte contre les incendies. Une transmission familiale qui scelle l’avenir du patrimoine forestier.
Et les efforts commencent à porter leurs fruits. Avec l’entrée en vigueur du marché national du carbone, la bannière orientale d’Ujimqin a conclu, en 2022, des accords pour développer des projets de puits de carbone forestiers. Selon les premières estimations, les forêts plantées pourraient réduire chaque année plus de 60 000 tonnes d’émissions de gaz à effet de serre, ouvrant ainsi la voie à une valorisation économique des écosystèmes.
Fu Lihong (première à droite) et ses élèves en atelier pédagogique au coeur de la forêt, à Arxan, ligue de Hinggan, région autonome de Mongolie intérieure, le 31 juillet.
Un héritage et une promesse
À Arxan, au cœur de la ligue de Hinggan, un monument rappelle l’histoire de la ville. On peut y lire : « Exploiter et reboiser pour des montagnes verdoyantes, un million de mu de forêts pour abriter les générations futures. » Cette devise incarne l’attachement des habitants à la forêt.
Dans cette ville multi- ethnique de 68 000 âmes, nichée dans les contreforts sud-ouest des monts Dahinggan, les forêts ont longtemps souffert de coupes excessives. Dès 1954, les habitants ont initié des campagnes de reboisement, poursuivies sans relâche pendant des décennies. En 1992, la ville comptait déjà un million de mu (66 667 hectares) de forêts artificielles. Vingt ans plus tard, elle devenait pionnière en mettant fin à toute exploitation commerciale des forêts naturelles.
La relève est désormais assurée par la quatrième génération. À 26 ans, An Zhengxin a choisi le métier d’enquêteur forestier, à l’image de son père et de son arrière-grand-père, impliqués dès les débuts dans l’exploitation et la protection forestières. « Les enquêtes forestières sont la base de notre métier. Je veux reprendre le flambeau et le transmettre à la génération suivante. »
Aujourd’hui, la couverture forestière d’Arxan atteint 81,2 %. Et cette richesse écologique attire les visiteurs. C’est sur cette dynamique que Fu Lihong, 49 ans, a bâti sa carrière. Fille d’un enquêteur forestier, elle a fondé une agence de voyages, puis un atelier d’« art forestier ». À partir de pommes de pin et de feuilles tombées après le passage des écureuils ou des pics, elle crée des objets artisanaux respectueux de l’environnement. Ses œuvres ont été exposées à Beijing lors du Concours de bande dessinée pour enfants Chine‑Afrique en 2023, suscitant l’admiration des invités venus du Kenya et du Maroc.
Mme Fu anime aussi des ateliers pédagogiques mêlant découverte de la forêt et expression artistique. « Je veux allier culture et tourisme pour que davantage de visiteurs découvrent nos ressources… et notre identité. »
Bao Yongli, garde forestier, en patrouille dans la ferme forestière nationale du mont Baogeda, ligue de Xilin Gol, région autonome de Mongolie intérieure, le 30 juillet.
Une richesse durable
Dans la ville-district de Yakeshi, relevant de la municipalité de Hulun Buir, la gestion forestière s’est affranchie de sa vocation unique de protection. Aujourd’hui, la ferme forestière locale s’est diversifiée : culture de jeunes plants, production de fruits, myciculture, écotourisme…
Depuis 2000, la pépinière de la ferme fournit des jeunes plants au projet national de ceinture forestière des trois régions du Nord. Plus de 20 emplois stables ont été créés, avec un revenu moyen d’environ 3 000 yuans (421 dollars) par mois. L’objectif est de porter la superficie de la pépinière à 2 000 mu (133 hectares) d’ici 2033.
Dans les serres, les techniciens cultivent des variétés insolites : pastèques à écorce jaune, champignons dorés, ou encore une marque locale de champignons noirs comestibles baptisée « Lin Xiaoxian ». Dans les zones de floriculture, plus de 30 espèces de plantes ornementales sont produites, dont le lys, le glaïeul et le dahlia.
La ferme a aussi ouvert un centre de loisirs alliant écotourisme, activités aquatiques, cueillette et gastronomie locale. Chaque année, plus de 10 000 visiteurs s’y rendent. Le développement touristique est fulgurant : en 2024, Yakeshi a accueilli 2,86 millions de touristes, générant plus de 3,5 milliards de yuans (492 millions de dollars) de recettes, soit une hausse de 22,66 % en glissement annuel.
Ce dynamisme repose sur une stratégie claire : faire de la forêt un moteur économique durable. Avec un taux de couverture forestière proche de 80 %, Yakeshi, au cœur des monts Dahinggan, incarne cette idée que « les rivières limpides et les montagnes verdoyantes constituent une grande richesse ». En associant foresterie et tourisme, elle trace la voie d’un développement écologique, économique et social profondément ancré dans le territoire.
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